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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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vaillance et d’ardeur et son œil noir,
très enfoncé dans l’orbite, jetait des flammes dès qu’il attaquait. Son
escrime, en fait, était excellentissime, mais hélas ! elle souffrait d’une
irrémédiable incommodité : son bras était trop court. Ou bien il eût
fallu, pour rendre les choses plus égales, que son épée fût un pied plus longue
que celle de son adversaire, ce que, d’évidence, aucune règle ne saurait
souffrir. Ou alors, il eût fallu que j’y misse du mien, mais son escrime était
trop fine pour qu’il ne discernât pas cette complaisance, laquelle l’aurait
blessé au plus vif.
    Quand l’assaut fut fini et que nous nous fûmes l’un l’autre
salués de nos épées, le comte de Louvigny se rhabilla et, se rapprochant de
moi, me dit, son œil noir fiché dans le mien :
    — Comte, dites-moi à la franche marguerite ce que vous
pensez de mon escrime.
    À quoi, ayant réfléchi qu’à un gentilhomme de cette trempe,
il ne fallait rien dire d’autre que la vérité, je répondis tout de gob :
    — Si votre bras était plus long, votre escrime serait
meilleure que la mienne.
    À quoi aussitôt il répondit :
    — Il ne tient qu’à vous, Comte, de remédier à ce défaut
de la nature !
    — À moi ? Comment cela ?
    — Je me permettrai de vous le dire, si vous m’autorisez
à vous parler au bec à bec dans votre appartement, ou dans le mien.
    — Dans le mien, dis-je promptement, tout intrigué que
je fusse. J’y retourne de ce pas. Voulez-vous me faire la grâce de m’y rejoindre ?
    Louvigny passant, peut-être à tort, pour un partisan de
Monsieur, je ne me souciais pas d’être vu entrant dans sa chambre, alors qu’à
mon sentiment, on pouvait le voir toquer à la mienne, sans que je fusse en rien
compromis, car j’étais alors très sollicité et de tous côtés, les courtisans me
sachant fort en faveur auprès du cardinal et du roi.
    Je dois dire, toutefois, que je fus excessivement étonné,
pour ne pas dire abasourdi, quand Monsieur de Louvigny m’exposa sa requête.
    — Comte, dit-il, vous avez remarqué que mon bras est
beaucoup trop court pour que mon escrime soit efficace, mais si vous étiez
disposé à me rendre un immense service, je me permettrais de vous dire
ceci : il n’y a que vous qui pourriez m’aider à remédier à ce défaut de la
nature.
    — Moi ? dis-je, béant. Et comment cela ?
    — En ayant la bonté de m’enseigner la botte de Jarnac
dont vous êtes, à ma connaissance, le seul en ce royaume à connaître le secret.
    Je demeurai sans voix devant l’énormité de cette requête,
surtout venant d’un gentilhomme que je connaissais si peu. Il fallait que
Louvigny fût tout à plein chaffourré de chagrin et dégondé de ses sens par le
désespoir d’avoir perdu sa belle pour m’adresser une prière aussi folle.
    — Mais, Comte, y songez-vous ? dis-je le plus
doucement que je pus. La botte de Jarnac est une botte terriblement cruelle.
Non pas parce qu’elle tue. Elle fait pis. En coupant le jarret de l’adversaire,
elle l’estropie et fait de lui un infirme, humilié aux yeux de tous, jusqu’à la
fin de sa vie, par les marques de sa défaite.
    — C’est justement cela que je veux, dit Louvigny d’une
voix basse et son œil noir lançant soudain des flammes.
    Cette parole me glaça quelque peu et je demeurai un instant
à envisager Louvigny d’œil à œil.
    — Comte, dis-je, reprenant peu à peu mes esprits, il
faut vraiment nourrir pour quelqu’un une haine démesurée pour désirer lui faire
durablement tant de mal.
    — Démesurée, Comte ? Ne croyez pas cela !
Tête bleue ! Elle n’est pas démesurée ! Elle ne l’est en aucune
façon ! Vous la ressentiriez comme moi si celui qui se disait votre
meilleur ami vous avait robé votre bien le plus cher !
    — Que n’appelez-vous le traître sur le pré ?
    — Je l’ai fait, mais Louis, qui déteste le duel et
envisage de les interdire un jour tout à plein, a formellement interdit cette
rencontre en raison de la disproportion des forces. Ne le saviez-vous
pas ?
    — Nenni.
    — Me voilà donc deux fois humilié ! dit Louvigny
avec un mélange de douleur et de fureur qui m’inspira quelque compassion. Mon
intime ami me fait une damnable écorne et le roi m’interdit d’en tirer
vengeance. Comte, pouvez-vous imaginer le terrible prédicament qui va être le
mien ! Quelle figure vais-je tailler d’ores en avant à la

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