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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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étais pas
depuis cinq minutes quand Chalais y pénétra sans toquer, le visage tout
chaffourré de larmes.
    — Comte, dit-il, d’une voix entrecoupée de sanglots, je
suis au comble du désespoir : mon meilleur ami, mon intime ami, le comte
de Louvigny, m’appelle sur le pré !
    — Diantre ! Que lui avez-vous fait ?
    — Hélas ! J’ai couché avec sa maîtresse.
    — Mais fallait-il que vous en arriviez là ?
    — Hélas ! Oui ! C’était une fleur qui ne
demandait qu’à se laisser cueillir.
    — Mais vous en avez cueilli tant ! Ne pouviez-vous
pas laisser celle-là au moins sur sa tige ?
    — Comte, vous n’y pensez pas ! La dame est réputée
avoir les plus beaux tétins de la Cour ! Comment aurais-je pu avoir
l’occasion de les voir, de les mignoter et de les baisoter, si je n’avais pas
couché avec elle ?
    — Mais votre ami ?
    — Hélas ! Il écume, il est furieux, il crie à tous
vents que je suis un traître et qu’il veut se battre !
    — N’est-ce pas bien naturel qu’il se trouve
offensé ?
    — Mais comment puis-je me battre avec mon meilleur
ami ?
    — Vous eussiez dû y penser avant.
    — Comte ! s’écria tout soudain Chalais d’une voix
furieuse, oseriez-vous me faire la leçon ?
    — Mon cher Chalais, dis-je en lui menant la main sur
l’épaule, allez-vous m’appeler une deuxième fois sur le pré ? Ne peut-on
vous parler à la franche marguerite sans qu’aussitôt vous vous
courrouciez ?
    — Ha ! Je vous demande pardon ! Je ne suis
qu’un grand fol ! dit Chalais.
    Et se jetant à mon cou, il me donna une forte brassée et je
ne sais combien de baisers repentants sur les joues, étant affectueux comme un
jeune chien et, j’en ai peur, sans beaucoup plus de cervelle.
    — Que vais-je faire ? poursuivit-il, les larmes
coulant sur ses joues, grosses comme des pois.
    — Vous battre avec Louvigny et lui faire la plus légère
blessure que vous pourrez.
    — Mais je ne peux pas ! Le roi a interdit le duel,
estimant que les forces des deux adversaires sont trop disproportionnées,
Louvigny étant si estéquit et moi si vigoureux.
    — Vous pourriez au moins discontinuer vos amours avec
cette dame.
    — Les discontinuer ! Renoncer à la belle !
Vous n’y songez pas !
    Et passant tout soudain du désarroi le plus profond à la
gaieté la plus folle, Chalais dit en riant à gueule bec :
    — Comment pourrais-je maintenant me passer de ces
tétins sublimes ?

 
CHAPITRE XI
    Si j’en crois l’usage de notre langue, l’adjectif
« sublime » s’applique à un rang, une dignité ou un honneur, lesquels
sont qualifiés ainsi parce qu’ils sont les plus élevés auxquels un homme puisse
aspirer. Et bien que l’adjectif prête à sourire appliqué à des tétins,
cependant si ceux-ci étaient, comme le prétendait Chalais, « les plus
beaux de la Cour » , on peut à la rigueur admettre qu’ils aient
mérité cette hyperbole dans la bouche d’un amant très épris.
    Mais, direz-vous, que devient alors ce « fol
amour » proclamé urbi et orbi [54] pour Madame de Chevreuse ? Ici
encore, je défendrais Monsieur de Chalais, tant il me paraît naturel que le
bouillant jouvenceau ait préféré aux appâts inaccessibles de la duchesse les
complaisantes rondeurs de Madame de C.
    À mon sentiment, la faille n’était pas là, mais dans la
légèreté, pour ne pas dire l’inconsistance, de Monsieur de Chalais. En somme,
il agissait dans le privé comme dans le politique : il trahissait tout le
monde, y compris son intime et immutable ami à qui il faisait une impardonnable
écorne en lui robant sa maîtresse. Après quoi, il pleurait à chaudes larmes,
mais sans cependant la lui rendre.
    Je vois bien que le lecteur brûle de me dire que je ne
devrais pas, traitant des grandes affaires du royaume, m’amuser à de si petites
choses que celles que je viens de conter. À quoi je répondrais qu’il n’est pas
sûr qu’un fait, en apparence insignifiant, ne puisse acquérir une importance
démesurée quand le hasard l’insère dans les enchaînements implacables de
l’Histoire.
    L’assassinat d’Henri IV en apporte un exemple que j’ai
toujours trouvé fort saisissant. Plaise à toi, lecteur, que je me permette de
le remettre en ta remembrance.
    Voyant un quidam rôder depuis quelques jours devant la porte
du Louvre, Monsieur de Castelnau, qui était alors lieutenant des gardes, en
avertit son père, le duc de La Force,

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