Le Lys Et La Pourpre
avec
toute la discrétion possible. Comte, faites-moi la grâce de m’avertir de
nouveau si Louvigny reprend langue avec vous. Mais, j’oubliais ! reprit-il
tout soudain avec un sourire fort gracieux.
Et fouillant dans l’une des nombreuses poches dissimulées
dans sa soutane pourpre, il en retira la bague ornée d’un rubis que j’avais
fait remettre par Monsieur de Clérac à Charpentier afin qu’il avertît le
cardinal d’avoir à se reclure dans le château de Fleury en Bière jusqu’à
l’arrivée d’une escorte.
— Ce rubis, poursuivit-il, est fort éloquent et il a
dit ce qu’il fallait dire au moment qu’il fallait. C’est votre bien, Comte, et
je vous le rends avec mille mercis. Convenons que s’il doit être de nouveau
remis à Charpentier par un tiers auquel vous l’aurez confié, il voudra dire que
vous avez à m’impartir une information qui ne souffre pas de délai.
Je regagnai ma chambre et la trouvai, comme elle avait été à
Blois, en affligeant désordre, me trouvant privé de toute aide, le pauvre La
Barge n’étant plus, et ayant laissé mon valet Robin en Paris, noulant l’exposer
aux périls de l’embûche, lui dont les armes n’étaient pas le métier. Quant aux
chambrières attachées au château, ou emmenées dans les bagues [56] des Grands, il ne fallait pas
compter sur elles, étant fort occupées à la Maison du roi, celles de la reine,
de la reine-mère, de Monsieur et des ducs.
Le lendemain, je retournai à la salle d’armes et eus le
plaisir, cette fois, de tirer avec le commandeur de Valençay pendant un bon
quart d’heure, ce qui n’alla pas sans effort ni sueur, et nous laissa tous deux
haletants, mais à égalité de touches, ce que je trouvais émerveillable, vu son
âge et le mien. Cependant, comme j’ouvrais la bouche pour m’enquérir de
Chalais, le commandeur, me devinant, me dit à voix basse et frémissante et son
austère face toute chaffourrée de souci :
— De grâce, ne me parlez pas de mon neveu ! Je suis
à son sujet dans des peines et des inquiétudes qui ne peuvent se dire. Il est
plus fol que lune en mars, va de sottise en sottise, et court droit à sa
destruction. La peste soit de l’écervelé ! Il conspire ! Il jase à
tous vents de ses secrets ! Et le comble ! Le comble ! Il
inflige une terrible écorne à Louvigny, son immutable ami, quasiment son frère,
qui lui a rendu mille services ! Il se brouille à mort avec lui pour une
paire de tétins ! Avez-vous ouï cela, Comte ? Rien qu’à la Cour il y
a bien une centaine de tétins, et il a fallu que ce soit ceux-là précisément
qu’il choisît ! Dieu juste ! Qu’y a-t-il de si attirant dans un
tétin ? Ce n’est qu’un sac, appelé à contenir du lait. Bien utile, certes,
pour le nourrisson, mais pour l’homme ?
Sur la fin de cette diatribe, j’eus quelque mal à conserver
ma gravité, si touchante que me parût pourtant l’affection du commandeur pour
un neveu qui lui donnait tant de pointillés. De retour dans ma chambre, sueux
comme je l’étais, je jetai ma chemise et me séchai, me frottant à
l’arrache-peau, et regrettant bien que Jeannette ne fût là pour remplir cet
office auquel elle excellait.
D’elle et de ses massages, ma pensée passa à La Surie qui en
avait reçu une bonne curation en son intempérie et aussi à mon père et enfin à
mon domaine d’Orbieu, lequel me manquait fort. Mais bien sait le lecteur :
je ne me laisse jamais enliser en durable mélancolie, et pour cela, je défends
à mes mérangeoises de s’égarer trop longtemps dans le souvenir des années
enallées. Car penser au passé, qu’il fût pour vous heureux ou malheureux, c’est
toujours tomber en tristesse, et de tristesse point ne veux, car elle vous
replie l’homme sur soi et le mutile. J’en dirais tout autant de la chasteté, si
je ne craignais de blesser les consciences délicates.
Comme je me rhabillais, on toqua à mon huis. C’était le
lieutenant de Clérac qui poussait devant lui un jouvenceau de si jolie mine
qu’il n’eût pas failli à induire en tentation le chanoine Fogacer du temps de
ses folâtres amours. Mais le béjaune était gibier de dames et non de bougres.
Je ne tardai pas à m’en apercevoir.
— Monsieur le Comte, dit Clérac, plaise à vous de me
permettre de vous présenter mon frère puîné, Nicolas. Il a été admis dans la
compagnie des Mousquetaires, mais il s’en faut de quelques mois qu’il y puisse
entrer, vu
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