Le Lys Et La Pourpre
Cour ?
N’importe quel pied plat me pourra insulter à gueule bec devant tous sans que
je puisse lui jeter mon gant à la face ! Mon honneur est perdu !
— Comte, dis-je, j’aimerais de tout cœur vous aider,
mais je ne le peux. Et permettez-moi de vous expliquer comment la botte de
Jarnac est entrée dans ma famille. Mon père était fort ami avec le maître ès
armes Giacomi dont le père avait enseigné cette fameuse botte à Jarnac pour le
préparer à son combat contre Châteauneuf : duel fameux qui eut le résultat
que vous savez. Plus tard, Giacomi, voyant mon père dans les missions secrètes
auxquelles le roi l’employait courir les plus grands périls, lui apprit le
secret de cette botte que Jarnac par son fameux duel avait rendue célèbre. Mais
à deux conditions : celles que mon père exigea de moi quand, à mon tour,
il m’enseigna le redoutable coup : primo , jurer sur les Évangiles
que je ne léguerais la botte qu’à un de mes fils, secundo, que je ne
l’emploierais jamais offensivement, mais en toute extrémité, pour sauvegarder
ma propre vie. Comte, vous m’en voyez navré ! Comment pourrais-je jamais
violer un serment aussi sacré ?
— J’entends bien, dit Louvigny qui m’avait écouté comme
si je lui avais lu sa condamnation à mort, mais l’œil cependant brillant et
résolu. Je me battrai donc sans posséder cette botte, reprit-il.
— Comte ! dis-je béant, allez-vous désobéir au
roi !
— Oui-da ! dit Louvigny, la crête haute. Pour me
venger de ce scélérat, je suis prêt à braver toutes les lois du royaume.
— Mais, Comte ! Où sera la vengeance ?
Monsieur de Chalais vous tuera.
— Je n’en doute pas. Outre que je préfère la mort au
déshonneur, j’aurai la joie, en mourant, de savoir qu’il sera embastillé et
privé du bien qu’il m’a robé.
— Même si votre agonie est longue, dis-je avec gravité,
cette joie-là sera bien courte pour la payer de votre vie. Et que ferez-vous si
votre adversaire refuse de passer outre à la défense du roi ?
— Nous verrons alors, dit Louvigny, les mâchoires
serrées et l’œil dans le creux de l’orbite étincelant. Je ne peux souffrir plus
longtemps l’écorne qu’il m’a faite. Il tombera, ce bélître, ce chef-d’œuvre de
la nature, la coqueluche du gentil sesso !
À ouïr ces mots, il me sembla que l’amour déçu s’y mêlait à
la haine de façon étrange et qu’il était difficile de démêler à qui Louvigny
portait cette atroce jalousie : à Monsieur de Chalais ou à Madame de
C. ?
Frappé par l’étonnement que me donna cette pensée, je
demeurai coi et Louvigny pensant que, par mon silence, je voulais mettre fin à
notre bec à bec, redevint aussitôt parfaitement poli, s’excusa de m’avoir pris
tant de mon temps, et me saluant profondément, prit congé de moi, me laissant
dans mes songes.
*
* *
Bien longue fut cette songerie-là, car je m’escarmouchai
autour d’un problème de conscience qui me tint occupé tout le jour. Monsieur de
Louvigny avait requis de moi le secret de notre bec à bec et, à main forcée,
j’avais dû le jurer. Mais il y avait là pour moi une très forte épine. Je me
demandais si mon devoir n’était pas de rompre mon serment, tout ce qui touchait
Monsieur de Chalais étant une affaire d’État, vu les soupçons qui pesaient sur
lui.
Je dormis là-dessus et au matin – la nuit, dit-on,
portant conseil et que le conseil fût bon ou mauvais, de toute façon, il était
pris – j’allai trouver Richelieu. Ayant glissé le nom de Chalais dans
l’oreille de Charpentier, je fus, toutes affaires cessantes, reçu et contai au
cardinal ce qu’il en était des intentions meurtrières de Monsieur de Louvigny à
l’égard de Chalais.
— Il serait désastreux, dit Richelieu, que ce fou nous
poignarde notre béjaune pour une affaire de cotillon, alors que nous remuons
ciel et terre pour trouver les preuves et témoignages qui nous permettent de
l’arrêter. Qui peut douter que, si nous y parvenions, cet incontinent babillard
nous dira tout, tant est que par lui, nous pourrons démêler les fils de la
conspiration et connaître les noms des complices.
Après quoi, s’accoisant, il réfléchit quelque peu, les yeux
baissés, et sa dextre caressant d’un geste machinal le bouc qui ornait son
menton. Puis, levant la tête, il dit tout soudain d’un ton vif et
expéditif :
— Nous allons surveiller Monsieur de Louvigny
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