Le Lys Et La Pourpre
ragaillardi par l’émerveillable lettre qu’il avait reçue et par le
chaleureux accueil de Sa Majesté. Chose remarquable, il nous apportait du
nouveau sur la « mission » de Monsieur de Louvière…
En effet, dès les débuts des remuements de la cabale,
Richelieu avait introduit des informateurs à Sedan et à Metz dont les
gouverneurs respectifs, le comte de Soissons et le duc d’Épernon (et celui-ci
malgré son grand âge), étaient des personnages bouillants et brouillons, fort
capables de mettre la main à la pâte de la rébellion, s’ils pensaient qu’elle
avait des chances de lever…
— Par une bénédiction spéciale du Ciel, poursuivit le
cardinal, la veille de mon département de Limours, je reçus d’un de mes
informateurs la nouvelle que Monsieur de Louvière s’était présenté à Sedan pour
demander au comte de Soissons s’il donnerait asile à Monsieur, au cas où
Monsieur réussirait à s’enfuir de la Cour. Il fut proprement éconduit. Louvière
partit alors pour Metz à brides avalées, où il adressa la même requête à
Monsieur de La Valette qui, en l’absence de son père, le duc d’Épernon,
commandait la place. Là aussi, on le rebuffa. Il apparaît donc clairement,
poursuivit Richelieu, que la prise au corps des frères Vendôme a quelque peu
refroidi la turbulence des Grands…
Ayant dit, le cardinal s’inclina devant Sa Majesté comme
pour lui rendre hommage de la décision qu’en son absence il avait prise. Salut
que je trouvai à la fois généreux et habile.
— Il est donc avéré, dit Louis, que Chalais est
maintenant sous la coupe du diable (c’est ainsi qu’il nommait la Chevreuse).
Étant à la fois mon sujet et officier de ma maison, il trahit à la fois son
office et moi-même. Au lieu de presser Monsieur de se marier, comme il l’avait
promis, il le pousse à s’enfuir et à se mettre à la tête de la rébellion. Il
faudra punir ce traître.
— Par malheur, dit Richelieu, nous ne pouvons encore
l’arrêter. Manquent les preuves et témoins. Louvière, après ses deux échecs,
s’est senti fort compromis et il a disparu dans cet immense royaume comme une
aiguille dans une botte de foin. Et questionner Monsieur serait vain. Il va
sans dire que Monsieur ne va pas avouer une faute qu’il n’a pas encore commise.
— En attendant, dit Louis, je vais donner l’ordre de
doubler les gardes qui assurent les intérieurs du corps du logis et tripler les
gens de pied qui tiennent les dehors.
Pensant que le cardinal et le roi avaient beaucoup à se dire
en ces retrouvailles, je quis de Sa Majesté mon congé, et ne les revis que le
lendemain matin en la grande salle du Conseil, là même où, quelques années
auparavant, le duc de Guise avait saigné du nez et mangé, au petit matin, des
pruneaux, avant d’être appelé dans la chambre d’Henri III où, l’huis
reclos sur lui, il avait rencontré la mort aux mains des Quarante-Cinq.
Le cardinal, parlant au nom du roi, exposa ses projets. Sa
Majesté avait l’intention, le lendemain vingt-cinq juin, de partir avec la Cour
et son armée pour Nantes. Il répondrait à toutes les questions qu’on lui
voudrait poser touchant cette décision. Il y eut un silence et Monsieur de
Marillac demanda ce qu’on allait faire à Nantes. Le cardinal lui répondit, et
je fus tout attendrézi de l’ouïr derechef parler de la façon méthodique qui lui
était coutumière.
— Primo, dit-il, Sa Majesté veut que les
fiançailles et le mariage de Monsieur avec Mademoiselle de Montpensier se
fassent à Nantes.
— Et pourquoi pas à Paris ? demanda Marillac.
— Pour éviter que les libelles de la cabale ne
parviennent à agiter le peuple de Paris contre cette union. Vous n’ignorez pas
à quel point le peuple de Paris est séditieux et maillotinier. Secundo, dit
Richelieu, le roi entend installer à Nantes solennellement Monsieur le maréchal
de Thémines à la tête de son gouvernement de Bretagne. Tertio, il tient
pour assuré que la présence d’une armée de six mille hommes à Nantes intimidera
le duc de Longueville en sa Normandie, et les protestants en leur Rochelle, et
que cette intimidation sera suffisante pour qu’ils n’aient pas envie de prêter,
le cas échéant, main forte à la rébellion.
Le cardinal ayant fini son exposé, Sa Majesté voulut bien
demander son avis au Conseil, et nul ne faisant mine de parler, le roi leva la
séance.
Je retournai alors dans ma chambre et je n’y
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