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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Il dit
tout, sur lui-même et sur ses complices, sans avoir du tout conscience, en son
étonnante puérilité, que chaque parole qu’il prononçait rapprochait de lui
l’épée du bourreau.
    Monsieur de Lamont et ses hommes le gardaient jour et nuit
dans la chambre de la tour où il était clos et avec eux aussi, il parlait sans
retenue, n’entendant pas que ce babillage, si dangereux pour lui, serait répété
le jour même à Richelieu.
    Entre deux interrogatoires, il écrivait au monde entier des
lettres pathétiques pour demander qu’on l’aidât. Avec un extraordinaire
aveuglement, il quit de la duchesse de Chevreuse qu’elle intercédât pour lui auprès
du cardinal : ce qu’elle se garda bien de faire. Il en conçut un furieux
dépit, et en dit alors sur elle plus qu’il n’aurait dû, se chargeant lui-même
en la chargeant. Sur ces entrefaites, Madame de Chevreuse ayant décidé d’aller
trouver le cardinal, celui-ci ne laissa pas que de lui faire connaître les
accusations que Chalais avait articulées contre elle. Or, il manquait à cette
infernale comploteuse la principale qualité que requiert l’intrigue : la
maîtrise de soi. À son tour, elle se laissa aller devant le cardinal à une
colère folle, et en son irrépressible ire, elle noircit Chalais à plaisir,
révélant beaucoup de choses qu’elle aurait dû taire, elle aussi. Richelieu,
patiemment, découvrait un à un tous les fils de la conspiration et s’effrayait que
des personnes aussi frivoles et inconsidérées aient pu mettre l’État en si
pressant péril.
    À moi aussi Chalais écrivit en me suppliant de le venir
visiter. Je montrai la lettre au cardinal, et il m’autorisa cette visite sans
du tout quérir de moi que je lui répétasse les propos du prisonnier. Ce n’était
pas grande concession : de toute façon, Richelieu connaîtrait le jour même
la teneur de notre entretien par Monsieur de Lamont, lequel, comme j’ai dit,
campait avec deux gardes, de jour et de nuit, dans la chambre du prisonnier.
Celle-ci, je m’en aperçus à l’entrant, eût été une chambre comme une autre, si
sa fenêtre garnie de barreaux n’avait donné au ras des douves dont l’eau
n’était point des plus agréables à voir, étant stagnante et de couleur brunâtre.
    C’est à peine si je reconnus Chalais, tant ces quelques
jours l’avaient changé. Bien qu’il y eût dans cette chambre pot à eau et
bassine, il n’était ni lavé ni rasé, le cheveu hirsute et les mains sales. Ma
fé ! Qu’était devenu le beau Chalais, ce miroir de beauté et de virilité
qui attirait par son éclat nos alouettes de cour ?
    Son désespoir faisait tout ensemble horreur et pitié, tant
le pauvre avait perdu la capitainerie de son âme, s’agitait comme une guêpe
dans un bocal, marchant comme un furieux d’un mur à l’autre, déversant un flot
de paroles insensées sur les gardes et si occupé à ses hurlades qu’il ne me vit
même pas de prime.
    Il criait à tue-tête qu’il était damné, « pis que damné
et déjà en enfer » : propos qui tant blessa Monsieur de Lamont qu’il
se permit de lui dire :
    — Monsieur de Chalais, au nom du ciel, plaise à vous de
vous ramentevoir que vous appartenez à la communion des chrétiens !
    Mais ce reproche, encore qu’il fut poliment formulé, ne fit
que mettre Chalais davantage hors ses gonds et il cria comme fol :
    — Foutre du christianisme [60]  ! Je suis bien en état d’être
remontré !
    Je lus dans l’œil de Monsieur de Lamont et sur les faces
frustes de ses gardes combien ces propos les scandalisaient.
    — Monsieur de Chalais, dit l’exempt d’une voix altérée,
de grâce, calmez-vous : vous n’êtes encore ni jugé ni condamné.
    — Mais je ne crains pas la mort, rugit Chalais dont le
rugissement même montrait à quel point il la redoutait. Et si l’on me pousse à
bout, je ferai comme les Romains : je m’empoisonnerai !
    — Monsieur ! Monsieur ! s’écria Monsieur de
Lamont avec douleur. Ramentez-vous qu’il n’y a pas de paradis pour ceux qui
attentent à leur propre vie !
    — Peu me chaut ! hurla Chalais. Je me tuerai et si
je n’ai pas de poison, je me casserai la tête contre le mur. Mon malheur est
trop grand ! Je ne le puis souffrir ! Peste ! Teste !
Mort ! Je me casserai la tête contre le mur en quatre belles pièces !
    Le pauvre exempt, désolé d’ouïr tant d’impiétés dans la
bouche d’un homme aussi proche de la mort,

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