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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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« idiot et incapable, rien qu’un
toton [58] dans les mains du cardinal ».
Grisée à la fois par le pouvoir que sa beauté lui donnait sur les hommes et
celui que la reine, avec sa coutumière légèreté, lui abandonnait, elle pensait
qu’elle était la première en ce royaume et que là où elle était, le roi n’était
rien. Et puisqu’il avait l’insolence de l’appeler « le diable », il
allait bien voir qu’en effet, elle l’était…
    — Monsieur de Louvigny, dit Richelieu, à quel moment se
place votre brouille avec Chalais ?
    — Le lendemain de cette entrevue, j’appris qu’il avait
trahi notre amitié. Et je l’appelai sur le pré. Mais je ne pus me battre avec
lui, Sa Majesté ayant interdit le duel.
    — Monsieur de Louvigny, reprit le cardinal, je ne
voudrais pas vous dissimuler l’évidence. Les amis de Chalais voudront récuser
votre témoignage, prétendant qu’il est dicté par l’esprit de revanche.
    — Rien n’est plus faux ! dit Louvigny avec une
indignation qui, si elle n’était pas sincère, était du moins admirablement
imitée. Si Monsieur de Chalais était demeuré mon ami, j’aurais, à coup sûr,
averti le roi de son criminel projet. Mais je l’eusse fait la mort dans l’âme,
tant de liens affectueux m’attachant alors à lui. Ces liens sont maintenant
détruits. Et je dénonce sa criminelle intention sans chagrin ni fâcherie.
Monseigneur, j’ai déjà juré sur mon honneur que tout ce que j’ai dit était
sincère et véridique, je le répète encore et s’il y a dans les esprits un doute
à ce sujet, je suis prêt à le jurer sur mon salut.
    — Il n’est jamais nécessaire de faire ce genre de
serment et d’ailleurs, l’Église l’interdit, dit gravement le cardinal. On ne
doit jamais invoquer le nom du Seigneur quand il s’agit d’une affaire de ce
monde. Votre parole de gentilhomme me suffit. Monsieur de Louvigny, Charpentier
va vous lire votre témoignage et vous pourrez y apporter les corrections que
vous désirez.
    Charpentier lut alors ledit témoignage non sans quelque
hésitation, sa rédaction ayant été si hâtive. Monsieur de Louvigny, les bras
croisés sur sa maigre poitrine, l’écouta avec beaucoup d’attention mais n’y
trouva rien à corriger. Une fois de plus, j’eus l’impression qu’il avait
préparé avec le plus grand soin une déposition qui eût pu paraître basse et
lâche, s’il n’avait pas réussi à lui donner, par son ton et sa rigueur, une
couleur d’honnêteté. La lecture terminée, Louvigny se tourna vers le cardinal
et fit de la tête un signe d’assentiment.
    — Monsieur de Louvigny, dit Richelieu, puisque ces
propos sont bien les vôtres, voudriez-vous pas les dater et les signer ?
    — Mais bien volontiers, Éminence.
    Et se levant, il prit la plume des mains de Charpentier et
s’exécuta avec une telle énergie que la plume, par son grincement, me donna le
sentiment qu’elle égratignait le papier. Derechef, le silence tomba. Je savais,
et le cardinal savait et Schomberg savait aussi ce que ces griffures
annonçaient : l’arrestation, le jugement et la mort du marquis de Chalais.
     
    *
    * *
     
    Je me suis souvent apensé depuis que si Chalais avait eu une
once de prudence et de bon sens en son enfantine cervelle, il eût pu échapper à
son sort. L’accusation, en fait, était d’une faiblesse insigne pour la raison
qu’elle reposait sur un témoin unique : Testis unus, testis nullus [59] , dit le droit romain. Autrement dit,
un unique témoignage doit être tenu pour nul s’il n’est pas corroboré par
d’autres. En outre, la déposition de Louvigny ne pouvait être que frappée d’une
légitime suspicion, sa brouille mortelle avec Chalais étant avérée.
    Il eût donc suffi au malheureux de démentir ce témoignage
avec force, de se proclamer innocent de toute intention criminelle à l’endroit
de Sa Majesté et de demeurer bec cousu sur tout ce qu’il savait de la
conspiration et de ceux qui y prêtaient la main.
    Par malheur pour lui, et comme il était malheureusement à
prévoir, Chalais agit au rebours de ce que lui dictait son intérêt. Il avait
été élevé par une mère aimante qui, lorsqu’il faisait mal en ses enfances,
avait dû lui dire que s’il usait tout à plein de franchise et avouait sa faute,
il serait tout à plein pardonné. Arrêté, serré dans une tour du château de
Nantes, le malheureux en usa avec le cardinal comme avec sa propre mère.

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