Le Lys Et La Pourpre
qui visait à supprimer le cardinal et à remplacer le roi
par son frère, fût-ce au prix d’un régicide.
Richelieu exprima fortement l’effroi dont Louis et lui-même
furent saisis quand la gangrène qui attaquait de tous côtés le corps de l’État
fut révélée par Chalais :
« Voilà, écrivit le cardinal
d’une plume frémissante, la plus effroyable conspiration dont jamais les
Histoires aient fait mention ; que si elle l’était par la multitude des
conjurés, elle l’était encore davantage en l’horreur de son dessein, car leur
dessein allait non seulement à élever leur maître au-dessus de sa condition,
mais à abaisser et perdre la personne sacrée du roi. »
Par « leur maître », Richelieu désignait
clairement Monsieur, et c’est à Monsieur que le roi s’attaqua de prime en le
soumettant pendant dix jours en présence de la reine-mère, de Richelieu, de
Schomberg et du garde des sceaux Marillac, à un interrogatoire quotidien des
plus serrés.
Au contraire de Chalais, Monsieur n’avait rien à perdre à
être franc, sa personne étant intouchable. Il s’engagea d’un cœur léger à tout
dire, à condition que ses favoris Bois d’Ennemetz et Puylaurens ne fussent pas
inquiétés : condition qui lui fut tout à trac accordée.
On devait plus tard lui faire reproche d’avoir montré
quelque lâcheté à citer tant de noms en compromettant tant de gens. Pourtant,
Monsieur ne manquait pas de vaillance, comme j’ai dit déjà, mais c’était une
vaillance gentilshommesque et guerrière. La fibre morale lui faillait. Il
n’avait en outre que dix-huit ans et bien qu’il eût beaucoup d’esprit, il était
plus jeune que son âge, ayant peu de plomb en cervelle et s’amusant à des
farces puériles. Le roi, la reine-mère, le garde des sceaux et Schomberg
formaient en face de lui un aréopage si écrasant et si au fait de ses intrigues
qu’il jugea opportun de se soumettre : il accepta de marier sans tant
languir Mademoiselle de Montpensier, en même temps qu’il recevait, comme on l’a
dit, un splendide apanage : pilule peut-être, mais bien dorée.
Absous par le roi, libéré de ces pénibles interrogatoires,
Monsieur se sentit aussi joyeux qu’un écolier qui échappe à l’école, retrouva
avec liesse ses petits compagnons de jeu et imagina avec eux une nouvelle
farce. Ils se rendirent de Nantes au Croisic montés à cru sur des ânes,
« comme une troupe d’Égyptiens ». Monsieur était raffolé de ces pantalonnades.
Mais qu’il s’y livrât dans ces circonstances, alors que Chalais attendait la
mort dans sa cellule, ne me donna pas pour lui plus de considération que je
n’en avais.
Avant que le pauvre Chalais quittât si jeune ce monde qui
lui avait apporté tant de plaisirs, Richelieu, à sa demande, vint le visiter
dans sa cellule. Le malheureux, dans sa naïveté, tâcha de passer un barguin
avec le cardinal : il lui révélerait tout (entendez par
« tout », ce qu’il n’avait pas osé dire lors de ses interrogatoires)
si Son Éminence voulait bien l’assurer de la grâce royale. Richelieu refusa
tout à trac de donner cette assurance, mais encouragea néanmoins le malheureux
à dire tout ce qu’il savait.
Cela, je l’appris parce que le cardinal me le dit plus tard,
mais je n’en appris pas plus, car bien que j’accompagnasse ce jour-là
Richelieu, je ne fus pas admis à ce bec à bec, pas plus de reste que Lamont et
ses gardes que le cardinal pria fort poliment de sortir tandis qu’il
s’entretenait avec le prisonnier. Je m’en étonnai quelque peu et j’en conclus
que cet entretien tenait au point le plus délicat de la conspiration : si
le roi venait à disparaître d’une mort naturelle ou d’une mort provoquée,
était-il convenu d’avance entre les deux intéressés que la reine épouserait
Monsieur ?
J’incline à penser que « oui » pour les deux
raisons que je vais dire. Lors de la première gravissime intempérie qui
atteignit Louis au cours de son expédition dans le Languedoc, Philippe IV
d’Espagne avait par son ambassadeur donné comme instruction à sa sœur d’épouser
son beau-frère au cas où Louis viendrait à passer. Ainsi, elle demeurerait
reine de France et pourrait continuer, en cette capacité, à servir de son mieux
les intérêts de l’Espagne.
La seconde raison qui assied ma créance sur ce point tient à
deux circonstances hors du commun. J’observais la seconde moi-même, et
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