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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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s’avisa d’y mettre un terme en
attirant l’attention du malheureux sur ma personne.
    — Monsieur de Chalais, il y a là le comte d’Orbieu qui
est venu vous visiter.
    — Ah d’Orbieu ! D’Orbieu ! s’écria Chalais
tournant vers moi un regard égaré, vous ici ! M’allez-vous sauver ?
    Il se jeta à mon cou et se cramponna à mes épaules comme un
noyé qu’on secourt en déversant aussitôt sur moi un flot de paroles passionnées
et confuses dont je n’entendis pas un traître mot, tout occupé que j’étais à me
désenlacer de son étreinte. Mes efforts à la parfin succédèrent : je pus
me dégager, le faire asseoir et m’asseoir à mon tour. Chalais parut plus calme,
quoique sa face fût tout aussi enflammée et ses yeux aussi exorbités que ceux
d’un animal effrayé par l’ombre d’un rapace.
    — D’Orbieu, dit-il fiévreusement, vous êtes un des
favoris du cardinal. Intercédez pour moi auprès de lui : il ne veut pas
m’assurer de la grâce du roi. Il est bien ingrat ! Dès le premier
interrogatoire, j’en ai usé avec lui avec la plus grande franchise. Je lui ai
tout dit !
    — Tout ?
    — Oui-da ! Même en ce qui concernait ma personne.
Je ne lui ai pas caché que j’ai été dix-sept jours en volonté d’attenter à la
personne du roi !
    — Vous avez été dix-sept jours en volonté d’attenter à
la personne du roi ? Et vous avez dit cela au cardinal ? m’écriai-je,
béant.
    — Oui-da !
    Je jetai les yeux à terre pour que ni Lamont ni ses gardes,
ni lui-même ne pussent deviner l’émeuvement où la nouvelle de ce terrible aveu
m’avait jeté.
    C’est donc vrai ! m’apensai-je. Louvigny n’a pas menti.
Le malheureux lui-même a corroboré la damnable accusation de son pire ennemi et
il a cru – le pauvre fol ! – qu’on lui en saurait gré !
C’était puéril à pleurer !
    — On ne peut pas dire, poursuivit-il, que je n’ai pas
fait preuve de bonne volonté à l’égard du cardinal. Je lui ai même proposé,
s’il me redonnait ma liberté, de le servir à nouveau. « J’ose affirmer,
lui ai-je dit, que vous aurez un très grand besoin d’un homme très zélé,
affectionné et un peu éveillé, comme l’est, Monseigneur, votre créature. »
    — Et que vous a-t-il répondu ? dis-je, atterré
devant tant d’inconscience.
    — Rien ! dit Chalais avec dépit. Ni mot ni
miette ! Ah, je peux dire qu’il m’a déçu !
    « Déçu ! » Je me levai, il se leva aussi, et
les larmes coulant sur sa face enflammée, grosses comme des pois, il me supplia
d’aller voir Madame de Chalais. Par ces mots, il désignait sa mère et non sa
femme. Je le lui promis et je tins parole, tristement assuré de ne pouvoir
apporter aucun espoir à Madame de Chalais. Je lui recommandai toutefois
d’écrire à son fils en le priant de ne plus se répandre en paroles impies et
blasphématoires, car elles étaient aussitôt rapportées au roi et produisaient
sur lui le plus mauvais effet. Madame de Chalais le fit, Chalais en tint
compte, mais de toute façon, cette tardive sagesse ne pouvait rien changer à la
décision du roi. Elle était prise. Sa Majesté eût pu, je pense, se contenter
d’embastiller Chalais s’il avait appartenu à la maison de Monsieur. Mais qu’un
officier de la Maison du roi trempât dans cette affreuse conspiration contre
son maître, fut plus qu’il ne pouvait souffrir.
    Le dix-huit août, la chambre de justice condamna Chalais à
mort pour crime de lèse-majesté. L’exécution eut lieu sur la place de Bouffay à
Nantes le dix-neuf août à six heures du soir. Elle se passa fort mal, les amis
du condamné ayant eu la stupidité de croire qu’ils l’empêcheraient en enlevant
le bourreau. Chalais fut exécuté incontinent par un condamné à mort à qui on
promit sa grâce. Et la maladresse de ce bourreau improvisé fit de la
décapitation du malheureux une affreuse boucherie.

 
CHAPITRE XII
    Plaise à toi, lecteur, de me permettre de revenir sur mes pas,
j’entends sur la période qui s’écoula entre l’arrestation de Chalais (le huit
juillet) et son exécution (le dix-neuf août).
    Les aveux du marquis avaient permis à Louis et au cardinal
de discerner, non sans stupéfaction et frayeur, l’étendue et la gravité d’une
cabale qui, partie du désir passionné de la reine d’empêcher, pour les raisons
que l’on sait, le mariage de Monsieur, était devenue, par une pente quasi
fatale, une entreprise

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