Le Lys Et La Pourpre
à la fois gourmand et réprobateur.
Et ce disant, elle se signa.
— M’amie, dis-je avec humeur, j’aimerais bien que tu ne
m’appelles pas ainsi.
— Y’a pas offense, Monsieur. Vous êtes ben biau quand
même. Et quel âge c’est-y qu’vous aveu à s’teure ?
— Trente et un ans.
— Et point si vieux non plus, dit-elle en me donnant le
bel œil.
Lequel je lui rendis aussitôt, et après cet échange qui
n’était que badinage, elle voulut bien me dire où gîtaient les Messieurs de
Siorac.
— Vos demi-frères, dit-elle avec un petit rire, tant
l’expression la titillait, mais, ajouta-t-elle, à eux deux, ptêt ben qu’y font
un frère entier ! En tout cas, yzont un ben biau et riche hôtel jouxtant
la cathédrale de Saint-Pierre. (Ce disant, elle se signa.) Mais à s’teure, je gage
qu’ils sont sur leur gros batiau, lequel ils nomment Les Six Reines que
j’sais pas ben pourquoi, vu que sur la proue, y’en a qu’une seule en bois avec
des tétins gros comme ma tête, mais un corps en queue de poisson, tant est
qu’elle a pas de jambes et peut donc point les ouvrir, la pov dame ! pour
quoi vous saveu.
— C’est donc le beau galion que j’ai vu à main dextre
amarré au quai ?
— Mon pov Monsieur, dit-elle avec un mépris bon enfant,
faut-y qu’vous soyeu pas ben instruit pour appeler ce batiau un galion !
— Car ce n’est pas un galion ?
— Eh non ! C’est une flûte ! À Nantes, même
un morveux sait ça !
— Eh bien ! dis-je avec bonne humeur, maintenant,
même moi je le sais !
— Pardi ! dit-elle, je vous aime bien ! Pas
fier, pas hautain, pas chiche-face non plus, vu le sol que vous m’avez
baillé ! Vous êtes un vrai Siorac ! J’en mettrais ma main au
feu ! Pour moi, je me nomme Antoinette. Que la bonne mère prie pour moi et
me pardonne mes peucheu ! Je loge seulette en chambrifime au premier étage
de la maison en bois jouxtant le cabaret. J’y suis chaque matin que Dieu fait
jusqu’à neuf heures. Vous toqueu trois fois et je vous ouvre, si vous avez
besoin de moué.
— Besoin de toi ? dis-je, et comment ?
— Pour coucheu avec vous, pardi !
— M’amie, dit Nicolas qui s’amusait beaucoup,
serais-je, moi aussi, inclus dans votre invitation ?
— Dame oui ! Avec joie ! Que j’ai jamais
croqueu un mousquetaire aussi mignon que vous !
*
* *
Je gagnai la « flûte », puisque
« flûte » il y avait et, suivi de Nicolas, je grimpai l’échelle de
coupée, mais à la coupée précisément, je trouvai deux forts gaillards armés de
gourdins qui m’en interdirent l’entrée. Néanmoins, quand je leur eus dit mon
nom, ils s’adoucirent et l’un d’eux, sans tant languir, m’amena dans la partie
de la poupe où logeaient « les Messieurs de Siorac » puisque c’est
ainsi qu’on les appelait à Nantes.
De ma vie je n’avais posé pied sur un vaisseau de charge,
comme on appelle les bateaux qui transportent des marchandises, et je fus frappé
par les vergues et les haubans qui composaient, autour des trois mâts, une
sorte de forêt sans feuilles. L’extrême propreté du pont et des lisses peints à
neuf m’étonna et plus encore les six canons que je vis alignés sur le côté
tribord que je longeai. Le tribord, à ce que j’appris plus tard, est la droite
du navire quand on regarde vers la proue et le bâbord sa gauche. Plaise au
lecteur de me pardonner ces termes de marine, mais je me suis hâté de les
apprendre dès la minute où Antoinette m’eut fait vergogne de mon ignorance.
J’ai dit déjà que je connaissais assez peu mes frères et
j’en ai expliqué la raison dans La Volte des Vertugadins , mais comme je
ne puis être assuré que le lecteur se ramentoit ce passage, je le prie qu’il ne
trouve pas mauvais que j’y revienne.
Comme bien il sait, je suis le fils du marquis de Siorac et
de la duchesse de Guise, laquelle étant veuve alors, mais ayant quelque
réputation à préserver, accoucha en catimini. À la prière de mon père, son
épouse Angelina consentit fort généreusement à être ma mère sur le papier, la
duchesse se contentant d’apparaître dans le rôle de marraine, lequel elle joua
à mon baptême au côté de mon parrain, Henri IV.
C’était là une fiction transparente et qui ne trompa
personne, mais que toute la Cour accepta avec quelques sourires discrets, les
convenances étant sauves. Angelina, toutefois, avait fait entendre à mon
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