Le Lys Et La Pourpre
à tout autre chose ! J’ai quelque pouvoir en
Angleterre, et en ce pays, je ferai traiter tous les Français comme on me
traite en France ! Qu’ai-je affaire de ce roi idiot et incapable ? Et
n’est-ce pas une honte qu’il se laisse gouverner par ce faquin de
cardinal ?
« — Madame, dit Bautru en souriant d’une oreille à
l’autre, dois-je répéter au roi toutes ces gentillesses ?
« — Vous le pouvez ! Et j’ajouterais,
Monsieur, que vous êtes une bien étrange sorte de gentilhomme pour avoir
accepté de tronçonner une dame de mon rang ! Ce n’est pas Bautru qu’on
devrait vous appeler, mais Malotru et maintenant que vous avez vous aussi reçu
votre paquet, ôtez-moi, Monsieur, le déplaisir de voir plus longtemps votre peu
ragoûtante face !
« — Madame, dit Bautru avec un profond salut,
j’admire quant à moi la vôtre qui est fort belle et aussi votre malice [63] , par où vous surpassez toutes
les personnes de votre sexe…
— Comment la duchesse de Guise prit-elle son parti de
l’exil de sa belle-fille ?
— Non sans un secret plaisir. Elle avait la Chevreuse
en horreur.
— Et le duc de Chevreuse ?
— Son honneur de mari lui commandait de le prendre fort
mal et dans un premier temps, il fit son fendant et son matamore et jura qu’il
« haïssait le cardinal ». Mais sur l’ordre du roi, j’allai le
raisonner et ne le trouvai pas si mécontent. Il y avait belle heurette qu’il
avait déserté la couche trop encombrée de son épouse et qu’il se consolait en
faisant, avec ses amis, dans les provinces françaises, des pèlerinages au cours
desquels il suivait les Saints Offices le matin, et se livrait dans
l’après-midi aux plaisirs de la chair. Sur mes conseils, le duc de Chevreuse
écrivit au roi qu’il allait, sans tant languir, satisfaire à sa volonté et, en
effet, il mena la duchesse au lieu que le roi lui avait assigné, le château du
Verger en Poitou où elle fut confiée aux soins de son frère, le prince de
Guéméné.
— Exil doré !
— Dont elle ne se satisfit pas. Elle s’enfuit et se
réfugia en Lorraine dont le duc lui assura une amoureuse protection.
— Et s’en satisfit-elle enfin ?
— Point du tout. Dès qu’elle eut établi son pouvoir sur
le prince, elle le pressa de faire la guerre à la France et entreprit en même
temps de rameuter contre Louis XIII l’empereur d’Allemagne, l’Angleterre
et le duc de Savoie.
— Et réussit-elle ?
— Pas autant qu’elle l’eût voulu, mais assez pour que
Louis décidât de lui permettre de rentrer en France, pensant, non sans raison,
qu’elle ferait encore moins de gâchis dedans que dehors.
*
* *
Mais revenons à Nantes, à la mer et à la marine et aux
entretiens que le roi avait alors avec Richelieu et à la nécessité, après ces
rébellions, de renforcer le pouvoir royal et sur mer et sur terre.
Il y avait en ce royaume deux charges héritées des siècles
passés qui donnaient de grands ombrages à Sa Majesté pour ce qu’elles donnaient
d’importants pouvoirs à ceux qui en étaient titulaires. Celle de Connétable que
possédait le maréchal de Lesdiguières et qui, en principe du moins, lui donnait
la haute main sur les armées et celle d’Amiral de France détenue par le duc de
Montmorency.
Des deux, Lesdiguières était le moins dangereux. Huguenot
sur le tard converti, et n’ayant jamais donné l’occasion de douter de sa
loyauté, vaillant parmi les vaillants, fidèle parmi les fidèles, il avait servi
avec un zèle exemplaire Henri IV et son fils. En outre, il était vieil et
mal allant et il mourut, si j’ose dire, providentiellement, en 1626, à
quatre-vingt-trois ans. Sans perdre une minute, le roi abolit sa charge.
Montmorency était autrement redoutable. Duc et pair, rejeton
d’une vieille et illustre famille, il était jeune, actif, entreprenant et
rassemblait dans ses mains tant de pouvoirs qu’on eût pu dire qu’il régnait
sans rival à la fois sur la marine, le commerce maritime et les deux sociétés
qu’il avait contribué à créer, celle des Indes Orientales et celle de la
Nouvelle France : entendez par la Nouvelle France le Canada dont il était,
en outre, le vice-roi. Richelieu avait commencé à grignoter son pouvoir en se
substituant à lui à la tête des sociétés d’outre-mer et en en créant une
troisième, laquelle il appela d’un nom poétique « Compagnie de la Nacelle
de Saint-Pierre
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