Le Lys Et La Pourpre
galion est surtout
célèbre, parce que les Espagnols l’emploient pour amener dans leurs ports l’or
des Amériques. La flûte, elle, n’a ni château de proue ni château de poupe.
Elle est donc beaucoup moins surélevée et plus légère. Elle possède un fond
plat et, par conséquent, un faible tirant d’eau qui lui permet d’entrer même
dans des ports envasés ou remonter les rivières. Ses formes sont rondes et
surtout, sa largeur à la flottaison est beaucoup plus grande que sa largeur au
niveau du pont. Les armateurs hollandais l’ont ainsi construite, parce que les
droits de port étaient calculés sur la largeur du pont. Mais cette
particularité s’est révélée excellente pour la tenue de mer. Étroite du haut et
évasée du bas, la flûte est bien assise sur l’eau. Elle n’en est que plus sûre.
Elle est aussi plus rapide qu’un galion, elle coûte moins cher à construire et,
pour sa conduite, exige moitié moins de marins.
— En un mot, dit Pierre, avec une flûte, surtout quand
elle est bien garnie en canons contre les pirates, on peut s’aventurer à
traverser l’Atlantique et commercer avec la Nouvelle France.
— Mais, dis-je, que fîtes-vous alors de La Belle
Nantaise ?
— Ce que nous avons fait toujours et faisons
encore : du cabotage le long de nos côtes atlantiques.
— Et que vendez-vous ? dis-je, avec la plus vive
curiosité.
— Mais tout ! dit Pierre en riant. Nous achetons
tout ce qui s’achète et nous vendons tout ce qui se vend.
— Par exemple ?
— Aux Bretons, nous achetons du blé et des toiles. Nous
leur vendons du vin de Loire, ainsi qu’aux Hollandais, à qui nous achetons des
draps. Aux Bordelais, nous vendons des draps hollandais, des toiles bretonnes
et nous leur achetons de l’huile. À tous nous vendons du sel de Bourgneuf.
— Mais, dis-je, n’est-ce point plus périlleux de
traverser l’Atlantique que caboter le long de nos côtes ?
Les deux frères s’entreregardèrent et comme Pierre faisait
la moue sans se prononcer, ce fut Olivier qui répondit :
— Ce n’est pas la même sorte de péril. La terreur du
caboteur, ce n’est point la mer, c’est la côte, contre laquelle la houle, le
courant, l’obscurité ou une erreur de cap peut le drosser. La flûte qui
traverse l’Atlantique craint certes les tempêtes, mais elle ne craint qu’elles
et les pirates, bien sûr.
— Messieurs mes frères, dis-je, de grâce, pardonnez
toutes ces questions mais pour moi, le monde où vous vivez est un monde neuf et
merveilleux. Je serais heureux d’y entrer au moins par la pensée afin de le
mieux entendre.
— Posez toutes les questions du monde, dit Pierre en
souriant. Nous ferons de notre mieux pour vous amariner.
— Que barguignez-vous avec les Français des
Amériques ?
— Nous leur vendons tout ce qui est français, et
surtout des vins de Loire. Nous leur achetons des peaux, des fourrures, du
poisson séché, du cuivre et du plomb.
— Me tromperais-je, Messieurs mes frères, si je disais
que vous faites bien vos affaires ?
Ici, Pierre fit la moue et resta bouche cousue et je
commençai à penser qu’il était de ces hommes qui n’aimaient pas qu’on les crût
riches. Olivier, visiblement, n’avait pas le même souci et il répondit à la
franche marguerite.
— Les profits sont à la mesure des risques :
considérables. Mais la paie des marins, leur nourriture et l’entretien du
bateau coûtent les yeux de la tête. Il n’y a que le vent qui soit gratuit.
— Sauf, dit Pierre, quand il déchire une voile ou casse
un mât. Il faudrait aussi avoir davantage de bateaux pour ne pas mettre tous
les œufs dans le même panier.
— Mais les choses vont mieux, dit Olivier, depuis que
nous avons un troisième bateau et c’est justement sur celui-là que nous nous
trouvons à s’teure.
— Est-ce aussi un hollandais ?
— C’est un franco-hollandais.
— Comment cela ?
— Nous avons fait faire une copie du Triton sur
un chantier nantais.
— Mais, dis-je, n’est-ce pas une sorte de trichoterie
que d’agir ainsi ?
À quoi les deux frères s’entreregardèrent et se mirent a
rire aux éclats.
— Si c’est une trichoterie, dit Olivier, votre grand
cardinal l’a commise avant nous. Il vient d’acheter cinq hollandais et les fait
copier dans des chantiers bretons et normands avec l’aide de charpentiers
hollandais qu’il a fait venir tout exprès et qu’il paie à grand
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