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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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lecteur, je n’en crus pas mes yeux ! – était posé le
portrait grandeur nature d’Anne d’Autriche. Devant ce portrait, à la fois pour
l’éclairer et sans doute aussi pour lui faire honneur, brûlaient des cierges de
cire blanche plantés dans des candélabres d’or. Et comme je ne pouvais
m’imaginer que Buckingham eût réussi à dérober ce portrait de la reine qui se
trouvait au Louvre dans les appartements du roi, j’en conclus que c’était une
copie fidèle et je fus béant que le duc affichât aux yeux de tous, au mépris de
toute décence, son effrontée adoration pour l’épouse du roi de France. Il me
sembla qu’il y avait là une ostentation d’un goût si douteux qu’il ne plaidait
en aucune façon pour la sincérité des sentiments qu’un tel culte était censé
révéler.
    Là-dessus, My Lord Duke of Buckingham entra, ou plutôt fit
son entrée dans la salle, comme un grand comédien sur une scène, sûr de son
effet, et je le concède, quoique de mauvais gré, que cet effet ne pouvait
faillir, car il était grand, large d’épaules, mince de taille et portait une
tête si belle que je dois confesser céans que je n’en ai jamais vu d’aussi
parfaite. Il était vêtu d’un pourpoint de satin bleu pâle couvert de perles et
son visage était auréolé (s’élevant très haut derrière sa nuque) par une grande
collerette de dentelle en point de Venise qui le mettait grandement en valeur.
Bref, et pour parler comme je m’y efforce, à la franche marguerite, c’était une
fine fleur d’homme, à qui on ne pouvait rien reprocher sinon d’être une fleur…
    Il pénétra seul dans la salle, se peut parce qu’il désirait
que l’attention ne se portât que sur lui, se peut aussi parce qu’il noulait que
personne n’ouït les reproches qu’il pensait que j’allais lui faire au nom de
mon roi. J’incline pour cette deuxième hypothèse car ses yeux, si beaux qu’ils
fussent, me parurent porter un air méfiant et même déquiété qui ne faisait pas
très bon ménage avec la hauteur qu’il affectait.
    Je ne lui fis pas moins de trois profonds saluts coup sur
coup, balayant le tapis persan du panache de mon chapeau, bonnetades qu’il me
rendit sans chicheté, tandis que je le considérais avec un air courtois auquel
j’ajoutai une once d’admiration que son apparence, sans doute plus que son
être, méritait.
    — Monseigneur, dis-je enfin, ce m’est une grande joie
que d’être reçu par Votre Altesse et je suis au comble du bonheur de
m’encontrer enfin en tête à tête avec le parangon des gentilshommes de ce pays,
alors que je n’ai fait jusqu’ici que vous apercevoir de loin au cours de cette
grande fête à laquelle vous assistâtes à Paris, lors de notre premier séjour
parmi nous.
    — Ce n’était pas mon premier séjour en France, dit
Buckingham dans un français qu’il prenait plaisir à parler, tant il le parlait
bien. Mon père, en mes enfances, m’a envoyé plusieurs années sur la côte
normande pour y apprendre votre langue et les belles manières. Mais le soir de
cette mémorable soirée que vous dites était mon premier séjour en Paris et j’ai
quelque raison d’en garder la plus précieuse remembrance.
    Buckingham faisait ici allusion aux regards qu’il avait
alors échangés de loin avec Anne d’Autriche – regards qui avaient fait jaser
toute la Cour de France et fort rebroussé Louis quand le bruit en était parvenu
jusqu’à lui. Je me dis aussi que le père de notre héros, s’il avait assez de
pécunes pour offrir ce long séjour en France à son fils, ne vivait assurément
pas, comme le dit My Lady Markby, non sans une évidente malice, « dans un
petit manoir crotté, avec trois petites vaches et un cochon ». En fait,
j’appris plus tard qu’il était gouverneur de son comté…
    — Monseigneur, dis-je, j’entends bien que vous avez
quelques raisons de vous ramentevoir cette soirée, ayant vu le bellissime
tableau céans, lequel m’a laissé fort étonné, car j’ignorais qu’il existât une
copie de l’œuvre de Rubens.
    — Elle n’existait pas, dit Buckingham en se paonnant
quelque peu. Je l’ai fait faire par Rubens lui-même, et il y a quelque
différence entre l’original et cette mienne copie. Venez, Comte, dit-il, en me
prenant par le bras (ce qui, je suppose, était un grand honneur pour moi),
voyons si vous apercevez cette différence ! Elle est imperceptible à la plupart
des yeux mais aux miens,

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