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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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elle est de la plus grande conséquence.
    Et m’amenant par le bras de la façon la plus enjôleuse
devant l’autel sur lequel était dressé le portrait d’Anne d’Autriche, il quit
de moi de le considérer avec la plus minutieuse attention, afin de découvrir si
je pouvais voir la différence qu’il avait dite. Je me prêtai à ce jeu, faisant
même le semblant d’une perplexité que je ne ressentais en aucune manière, étant
bien assuré que, si j’échouais, Buckingham ne faillirait pas à me dévoiler sa
devinette.
    — Monseigneur, dis-je au bout d’un moment, peut-être
pouvez-vous m’aider ? Est-ce un rajout ou un manque qui fait la différence
entre l’original et la copie ?
    — C’est un manque, dit Buckingham avec un air de
mystère et d’espièglerie par lequel il ressembla fort au garcelet adulé qu’il
avait dû être. Et c’est un manque, ajouta-t-il avec quelque piaffe et vanterie,
que j’ai expressément voulu et imposé au peintre.
    — Monseigneur, dis-je, je donne ma langue au chat.
    — Eh bien, dit-il, considérez attentivement la main
gauche de la reine ! Que voyez-vous ?
    — Une jolie main, Votre Altesse, et fort gracieusement
dessinée.
    — Est-ce tout ?
    — Monseigneur, y a-t-il autre chose à voir ?
    — Si fait, il y a dans cette main non pas quelque chose
à voir, mais un manque à constater. Le discernez-vous ?
    — Nenni, Monseigneur.
    — Il y manque, dit Buckingham, avec un air triomphant,
et se taisant, l’œil en fleur, il reprit, après un silence quelque peu
théâtral : il manque à cette main l’anneau nuptial ! Rubens, sur mon
commandement, a omis de le peindre.
    Je fus béant de cette incrédible puérilité et aussi des
lumières nouvelles qu’elles me donnaient sur l’homme. En toute apparence, il
était resté à l’âge où l’on croit qu’en frappant une table d’une badine et en
disant : « Table, disparais ! », on veut croire qu’elle
disparaît, en effet. Émerveillable magie des maillots et enfances, mais qu’on
est bien étonné de trouver chez un homme de son âge. En supprimant un anneau peint
sur une main peinte, notre homme se donnait l’illusion de démarier la reine de
France et de se la bailler à lui-même.
    Je ne dis ni mot ni miette, ce qui me servit fort en cette
occasion car, prenant mon étonnement pour de l’admiration et mon silence pour
un hommage, Buckingham en conçut pour moi incontinent une vive et chaleureuse
amitié.
    — Or çà, Comte ! dit-il en s’asseyant, foin des
cérémonies ! Prenez un siège, vous aussi ! Et dites-moi tout de gob à
la franche marguerite ce que vous voulez de moi, ou plutôt ce que votre roi
veut de moi, puisque je ne laisse pas d’imaginer que si vous êtes céans, c’est
pour me porter de sa part un message, se peut un message de paix…
    — Monseigneur, dis-je avec un profond salut, je vous
prie humblement de me permettre de vous détromper. Le roi ne m’a chargé d’aucun
message. Il considère que s’il incline un jour à négocier avec Votre Altesse,
il le devra faire par le canal de son ambassadeur. En fait, je n’ai eu céans
d’autre affaire que de me concerter avec Monsieur du Molin sur l’épineux problème
de son courrier, lequel est intercepté dans les deux sens (phrase que je ne fus
pas mécontent de glisser entre deux compliments). C’est donc à titre personnel
que j’ai quis l’honneur d’être reçu par Votre Altesse et c’est à ce même titre
que je le prie d’accepter de moi ce modeste présent.
    Ce disant, je me retournai et fis signe à Nicolas, qui
jusque-là était resté à l’autre bout de la salle, de venir vers nous. Portant
le coffret d’or révérencieusement des deux mains devant sa poitrine, l’écuyer s’approcha
de Buckingham à petits pas lents et solennels et, mettant devant lui un genou à
terre, il lui tendit mon modeste présent le plus gracieusement du monde.
    Je ne faillis pas d’apercevoir que les regards de Buckingham
s’attachèrent de prime à Nicolas avec plus de friandise qu’à mon petit coffret.
Toutefois, il se reprit promptement, et prenant et palpant ledit coffret avec
tendreté, il l’ouvrit et poussa un petit cri de plaisir à découvrir son
contenu.
    — Ah que voilà, dit-il, un précieux et ingénieux cadeau !
Un parfum italien dans un flacon français ! Que peut-on rêver de plus
galant ? La grand merci, Comte ! Je me ramentevrai per sempre [73] votre exquise courtoisie.

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