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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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deux cochons,
dit-elle, d’un ton grave, comme si elle faisait au pauvre chevalier une immense
concession…
    C’était là une de ces petites absurdités qui font rire les
Anglais aux larmes, mais qui laissent de marbre nos compatriotes qui n’aiment
que le jeu de mots ou la pointe assassine. Toutefois, voyant rire My Lady
Markby, je ris aussi, car tant plus je la voyais et l’écoutais, et tant plus je
l’aimais.
    — On dit que Buckingham est fort beau.
    — C’est son unique vertu, dit Lady Markby. Car il n’a
ni esprit, ni talent, ni courage. Mais de reste, ajouta-t-elle avec vigueur, je
nie que le Buck soit beau. Je le nie absolument. Il n’est pas beau. Il est
joli. Pour le corps, passe encore, il est grand et bien fait. Mais la
face ! Voyez ses yeux ! Ils sont beaux, certes, mais féminins !
Sa bouche est belle aussi, mais féminine ! Il a une belle moustache,
assurément, mais elle ne réussit pas à rendre sa physionomie plus virile. Vous
savez, bien entendu, qu’il fut le favori de Jacques I er et qu’à
sa mort, il devint – si je puis dire, naturellement – celui de
Charles I er . Ah ! s’écria-t-elle tout soudain en rugissant
comme une lionne, j’enrage ! Je suis morte de honte à la pensée qu’on
puisse dire en Europe que les rois d’Angleterre sont bougres de père en
fils !…
    Ceci, en revanche, m’eût fait rire à gueule bec, s’il ne
s’était pas agi du roi sérénissime dont, en quelque mesure, j’étais l’hôte en
ce pays. Je ne souris donc que d’un seul côté de la bouche, mais Nicolas, qui,
à son âge, ne pouvait avoir autant de retenue, s’esclaffa.
    — Eh bien, tenez ! Mon fils ! dit My Lady
Markby. Parlant de Buckingham, prenez, par comparaison, votre écuyer qui est
joli, certes, mais pas le moindrement féminin ! Voyez ! Il a des yeux
à dévorer une dame toute crue !
    —  My Lady, dit Nicolas, c’est sans doute que je
n’ai jamais rien vu de si merveilleux que vous.
    — Ah ! Ces Français ! dit My Lady Markby, au
comble du ravissement. Des yeux de velours ! Une langue de miel ! Et
pas seulement pour parler ! ajouta-t-elle avec un petit rire.
    Nous ne demeurâmes que quatre jours à Londres, et comme le
lecteur l’a deviné par cette colorée préface, nous fûmes traités comme princes
ou rois en ce magnifique hôtel de My Lady Markby.
    Je vis Monsieur du Molin le jour même et le lendemain, grâce
à My Lady Markby, le duc de Buckingham.
    Monsieur du Molin était un gentilhomme de bonne mine, comme
avait si bien dit My Lady Markby, point mol le moindrement du monde mais vif,
actif et agissant au mieux des intérêts de Louis.
    — Comte, me dit-il, s’il est bien vrai que je sois le
seul ambassadeur français accrédité auprès du roi sérénissime, tant s’en faut
que je sois le seul ! Il y a foule céans d’ambassadeurs, si je puis dire, in
partibus [70] . Les uns – ils ne sont pas
moins de trois – délégués auprès de Charles I er par le
corps de ville de La Rochelle. Un autre, Saint-Blancard, délégué par le duc de
Rohan ; un autre, le sieur de La Touche, délégué par la duchesse
douairière de Rohan ; un troisième encore, Monsieur de Soubise, délégué
par lui-même…
    — Louis dirait que ces gens-là ne sont pas de
« véritables Français », dis-je, puisqu’ils en appellent à un roi
étranger contre le roi de France.
    — Toutefois, dit Monsieur du Molin, j’excepterais de
cette définition, le corps de ville de La Rochelle. Sa requête n’est pas
criminelle. Charles I er étant intervenu pour faire accepter par
La Rochelle le traité de paix proposé par Louis, les Rochelais insistent pour
que Charles I er intervienne de nouveau auprès du roi pour en
faire respecter les clauses et, notamment, la destruction de Fort Louis. Les
Rohan, en revanche, désirent que Charles I er intervienne par
les armes à La Rochelle et en Languedoc. Le cas échéant, ils accepteraient même
d’être ses vassaux s’ils pouvaient, en ses provinces, régner en son nom.
    — Ce sont donc des traîtres !
    — Ce sont surtout des fols ! dit Monsieur du
Molin. Si les Anglais occupaient La Rochelle et les îles de Ré et d’Oléron, il
est évident qu’ils s’y accrocheraient et que les Rohan, alors, ne pèseraient
pas bien lourd ! Ramentez-vous Calais [71]  ! Pour les en déloger, il nous
a fallu deux siècles ! Les Anglais sont très semblables aux arapèdes :
quand ils se collent à un

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