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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Mais,
poursuivit-il, je sais à qui je vais faire à mon tour hommage de ce munificent
présent !
    Et se levant avec la promptitude d’un jouvenceau, il vola
jusqu’à l’autel sur lequel trônait le portrait d’Anne d’Autriche, se génuflexa
devant lui et déposa religieusement le coffret entre les deux candélabres d’or.
Puis reculant de deux pas et penchant la tête de côté, il admira l’effet de cet
arrangement.
    — Venez, Comte ! Venez voir quelle nouvelle grâce
votre présent ajoute à ce tableau !
    Il va sans dire que je m’étais levé, dès que Buckingham
s’était lui aussi dressé, et tout étonné que je fusse de la rapidité avec
laquelle il avait fait de ma personne le confident de ses émois, je n’eus garde
de le décevoir. Je le rejoignis, et en termes appropriés à la hauteur de ce
grand événement, j’admirai le finishing touch que le coffret apportait à
l’autel de ses chimériques amours.
    — Cette salle où nous sommes, reprit Buckingham, est
celle où je reçois mes ministres (il disait « mes ministres », comme
s’il était le roi) et je m’arrange, au cours de ces audiences parfois
turbulentes et le plus souvent ennuyeuses, pour être assis face à ce portrait
et tirer de lui, au milieu de ces épines, mon soulas et ma consolation.
    — Dès lors, dis-je, comment faites-vous pour vous
passer de lui quand les grandes affaires dont vous avez à traiter vous
entraînent loin de York House ?
    — S’il n’est question que de quelques jours, je le
laisse céans, dit Buckingham avec un soupir, mais si mon éloignement doit durer
plus longtemps, alors je ne manque pas de l’emmener avec moi, en même temps que
l’autel et les candélabres et désormais aussi votre coffret, ajouta-t-il avec
un sourire des plus charmants, maintenant qu’il concourt à la beauté de
l’ensemble. Demain, reprit-il, tout sera porté à Portsmouth à bord de mon
vaisseau amiral, Le Triomphe. Je vous vois étonné, mon ami,
poursuivit-il avec quelque espièglerie dans la voix, de ce que j’étale mes
cartes au lieu de les cacher. Mais que puis-je y perdre, maintenant que je sais
que votre roi ne vous a pas dépêché céans pour traiter avec moi de mon retour à
Paris et à la Cour de France – ce que j’ai maintes fois quis de lui et
qu’il m’a toujours implacablement refusé.
    — Monseigneur, dis-je, me permettez-vous de vous dire,
avec tout le respect que je vous dois et l’admiration que j’éprouve pour vous,
qu’il se peut que Louis vous garde une mauvaise dent depuis l’affaire du jardin
d’Amiens.
    — Mais que s’est-il passé dans le jardin
d’Amiens ? s’écria Buckingham avec véhémence. Rien de damnable ! Il
faisait nuit, il faisait doux, et donnant le bras à la reine de France et me
trouvant seul avec elle du fait que Lord Holland et Madame de Chevreuse
marchaient fort lentement derrière nous, j’ai pris Anne dans mes bras et j’ai
baisé ses lèvres. Baiser qui fut bel et bien rendu par une femme qui oubliait
d’être reine et trémulait dans mes bras. C’est alors qu’oyant le bruit de pas
précipités de sa suite qui tâchait de la rejoindre, la reine, sentant qu’elle
allait être surprise, se dégagea de mon étreinte et poussa un cri, afin de
donner à penser à ses serviteurs qu’elle avait subi, et non accepté, mes
enchériments.
    Bien que ce récit me parût plus proche de la réalité que ce
qui avait été dit ou suggéré à l’époque dans les babillages de la Cour de
France, je sentis dans le fait même qu’il m’ait été conté une messéance qui me
ragoûta peu, pour ce qu’elle froissait des délicatesses auxquelles n’était dû
que le silence – lequel, de reste, j’observais, me taisant pour deux.
    — Croyez-vous, poursuivit Buckingham, que si j’avais
osé les mêmes familiarités avec sa petite épouse française, le roi Charles
m’eût fait tant de babillebahous ?
    Cette remarque, outre qu’elle côtoyait le comique, ne valait
pas mieux, à mon sentiment, que le conte qui l’avait précédée. Et je n’eus même
pas à me décider de me taire. Elle me laissa sans voix, tant il était évident
que le roi Charles avait des raisons si particulières et si vives de tout
pardonner à un favori auquel il baillait dans son royaume un pouvoir tel et si
grand qu’on pouvait dire sans exagération qu’il lui avait abandonné son
sceptre… Pourquoi, dès lors, ne lui aurait-il pas abandonné aussi une

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