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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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épouse,
avec qui, de reste, il n’avait que d’exécrables rapports ?
    Toutefois, je sentis qu’il y avait quelque péril à demeurer
clos et coi plus longtemps, ce silence pouvant offenser Buckingham, qui me
parut appartenir à cette catégorie d’humains qui, si insouciants qu’ils soient
des souffrances qu’ils infligent aux autres, sont eux-mêmes extrêmement
sensibles aux petites blessures réelles ou supposées qui les atteignent dans
leur amour-propre.
    — Monseigneur, dis-je, j’entends bien que vous ayez
conçu quelque fâcherie du fait qu’on vous ait interdit d’aborder au royaume de
France, mais puisque vous avez été assez bon pour me dire que vous alliez
étaler vos cartes devant moi au lieu de me les cacher, peux-je vous demander si
le ressentiment que vous nourrissez à l’encontre de mon roi explique que vous
lanciez contre sa côte atlantique une armada dont vous prendriez la tête ?
    — C’est une de mes raisons, dit-il, mais ce n’est pas
la seule.
    Je m’attendis à ce qu’il me déclarât qu’étant anglican, il
désirait voler au secours des protestants de La Rochelle pour les tirer des
griffes des papistes français. Mais Buckingham n’était point hypocrite et s’il
faut lui trouver une vertu, la franchise du moins en était une. Bien loin
d’être inspirées par la religion, les raisons qu’il me donna étaient toutes
personnelles, ce qui lui bailla l’occasion de parler lui-même et de se prendre
quasiment en pitié.
    — Comte, dit-il d’une voix chagrine, vous ne pouvez
savoir, étant français, à quel point je suis haï en ce pays.
    — Haï ? dis-je.
    — C’est bien le mot, hélas ! Haï et jalousé !
La gentry dont je suis issu ne me pardonne pas de m’être élevé si haut
au-dessus d’elle. La nobility me tient pour un insufférable parvenu,
parce que la faveur de mon maître non seulement a fait de moi un duc, mais m’a
donné plus de puissance qu’aucun d’eux. Et quant aux commoners, ils me
haïssent parce que j’ai augmenté les impôts et aussi parce que mon expédition
contre Cadix s’est terminée par un désastre qui a coûté fort cher à l’État. Le
Parlement, enfin, est mon pire ennemi pour la raison que je l’ai fait dissoudre
plusieurs fois par le roi. Ces faquins de parlementaires, fielleux et
rancuneux, ont imaginé de me faire un procès pour corruption ou
concussion – du diantre si je sais ce que ce baragouin veut
dire ! – et si Charles ne les avait pas contraints à reconnaître que
j’étais innocent, j’eusse épousé la Tour de Londres ou, pis même, le billot du
bourreau ! Comte, entendez-vous bien quel est mon désespoir, alors même
que je suis parvenu, en cet ingrat pays, au faîte de la puissance ! Je
suis environné d’ennemis si nombreux et si acharnés à ma perte que je ne peux
que je ne redoute la dague, le poison ou quelque accident machiné ! De
toutes façons, je me sens si injustement haï, honni et persécuté en ce pays de
rustres que j’ai pris la résolution de le quitter à jamais, et La Rochelle une
fois en mon pouvoir, je compte y demeurer et en faire mon fief pour mes sûretés
et pour ma retraite…
    Buckingham achevait quand on frappa à l’huis et un huissier
fort chamarré lui vint dire que le roi Charles l’attendait. Il me quitta alors
avec une profusion de paroles aimables, de serments affectionnés et la promesse
de ne jamais oublier ma visite et « l’exquise courtoisie » de mon munificent
present. Il employa l’expression une deuxième fois, tant elle lui plaisait.
    Je le quittai, béant qu’il m’eût, en cette première
encontre, découvert tant de choses qu’il eût mieux fait de taire, comme le départ
imminent de son armada. Et plus encore m’étonnèrent la confidence de son
désespoir et son désir de faire de La Rochelle une place de sûreté.
    C’était là un élément nouveau. Le cardinal et le roi
pensaient jusque-là que seul le désir de Buckingham de se venger de
l’interdiction qui lui était faite de mettre le pied sur le sol de France lui
inspirait l’envoi d’une armada sur nos côtes. Mais à ce mobile il fallait,
après sa confidence, en ajouter un autre, et peut-être plus pressant. Il
sentait sa vie si menacée en Angleterre qu’il aspirait à trouver,
paradoxalement, à La Rochelle, ville française, un refuge contre ses ennemis
anglais.
    Il s’en allait, de reste, de ce mobile-ci comme du premier.
Il était tout personnel et pas

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