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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Cornebouc,
vous aviez distribué à nos manants, pour se défendre contre eux, des arbalètes
et des frondes. Il va sans dire que, les loups partis, j’ai repris arbalètes et
frondes pour éviter que nos manants ne s’en servent pour braconner. Toutefois,
quand les rumeurs sur les entreprises des bandes armées contre les châteaux et
les domaines sont devenues plus précises, j’ai imaginé de recruter parmi nos
manants des hommes jeunes et résolus pour les exercer au tir et leur permettre
de se défendre contre ces incursions.
    — Mais bravo, bravissimo, Saint-Clair ! dis-je
avec chaleur.
    Là-dessus, Saint-Clair rougit derechef, mais cette fois de
contentement.
    — Combien sont-ils ? repris-je après un silence.
    — Douze frondeurs et huit arbalétriers.
    — Sont-ils assidus à l’exercice ?
    — Ils ne l’étaient pas trop, mais grâce à votre
Intendante, ils le sont devenus.
    — Comment cela ?
    — Elle est venue un beau jour sur le terrain en fin
d’exercice avec deux chambrières, porteuses de grands paniers. Chacun des
manants a reçu un morceau de pain et un morceau de fromage. À vrai dire, le
pain m’a paru bien rassis, et le fromage un peu vieux. Mais nos hommes ont tout
croqué à belles dents. Cependant, d’aucuns, à ce que j’ai observé, mettaient
dans leurs poches la moitié de leur part, la réservant sans doute à leurs
enfants ou à leur femme.
    — C’est un geste des plus touchants, dis-je. Et
j’aimerais qu’ils n’aient pas à le faire. Par malheur, même à Orbieu, il n’y a
qu’une minorité de manouvriers qui mangent tout à plein à sa faim.
    — Du moins ne sont-ils plus opprimés, dit Saint-Clair,
comme sous le défunt comte, par un intendant malhonnête. Et le braconnage n’est
maintenant réprimé que fort doucement, selon vos instructions, Monsieur le
Comte, et seulement pour être contenu dans des limites raisonnables. Tant est
que les plus habiles d’entre eux mangent assez souvent de la chair.
    On toqua à la porte et sur mon entrée, Louison apparut et
m’annonçant que le dîner était servi. Monsieur de Saint-Clair me quitta,
n’étant invité que le lendemain, avec son épouse Laurena et son beau-père
Monsieur de Peyrolles. Dès qu’il fut hors, Louison se rapprocha de moi plus que
ne lui permettait le protocole qu’elle s’imposait en public.
    — Monsieur le Comte, dit-elle, ferez-vous, après le
dîner, votre petite sieste ?
    — Cela dépendra de mon humeur.
    — Et de quoi votre humeur dépend-elle, Monsieur le
Comte ?
    — De ta franche réponse à la question que je te vais
poser.
    — Ma fé ! Je vais donc faire très attention à ma
réponse, dit Louison avec un petit balancement confiant de son corps qui, parti
des épaules, la parcourut tout entière.
    — Louison, dis-je, je vois que tu as repris avec nos
arbalétriers la même tactique qui t’avait si bien réussi avec ceux qui
travaillaient à l’empierrement de nos voies. Pour t’assurer de leur assiduité,
tu les nourris.
    — Ai-je eu tort ?
    — Tu as eu mille fois raison. Mais pourquoi leur donner
du pain si rassis ?
    — Je n’allais tout de même point bailler du pain frais
à ces rustres, dit Louison qui, étant née en Paris, professait quelque
déprisement pour les manants du plat pays.
    — Louison, cette réponse me fâche.
    — Monsieur le Comte, qu’a-t-elle pour vous
fâcher ?
    — Elle est hautaine et façonnière.
    — Nenni, nenni, Monsieur le Comte, dit-elle, et je vous
dirai le pourquoi de la chose, si vous me permettez de m’expliquer.
    — Je te le permets.
    — Monsieur le Comte, vous savez combien le domestique
de bonne maison, et la vôtre en est une, mangeant les reliefs des maîtres,
deviennent difficiles. Et la chose chez nous en est arrivée au point que
lorsqu’on présente à nos gens le pain de la veille, ils n’en mangent point,
tant ils ont bonne chère et herbe [7] savoureuse à se mettre sous la dent. Et vous savez bien aussi que jeter du
pain, même rassis, c’est gaspillage et, qui pis est, péché contre le Seigneur
qui nous le donne quotidiennement. C’est pourquoi j’ai pensé le bailler à nos
arbalétriers, lesquels étant habitués à manger le pain peu ragoûtant qu’ils
font eux-mêmes et qui est un mélange d’avoine et de je ne sais quoi, sont bien
heureux de manger du bon pain de froment, même s’il est un peu rassis.
    — Eh bien, dis-je, pour couper court, tâche que rassis,
il ne le

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