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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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regardant pas, mais le voyant
toujours, elle rayonnait d’un bonheur si lumineux, si doux et si confiant,
qu’il eût fallu être un tigre pour n’en être point touché.
    Son père, Monsieur de Peyrolles, était mon voisin, mais son
domaine ne comportant ni village, ni église, comme j’ai dit, il oyait la messe
dans ma paroisse. Ce qui avait permis à Monsieur de Saint-Clair et à Laurena de
Peyrolles de s’encontrer le dimanche.
    Je ne sais si c’est la Providence qui le voulut ainsi, mais
si c’est elle, ce fut grandement à son détriment car la messe, ce dimanche-là
et les dimanches qui suivirent, fut des deux parts très inattentivement ouïe.
Quant à moi, je siégeais par droit seigneurial dans le chœur, sur la chaire
réservée à l’évêque, lequel, de mémoire d’homme, n’avait jamais posé ses fesses
violettes dans une église de village. Et ayant, du haut de cette chaire
épiscopale, de bonnes vues sur l’assistance, je confesse que je fus, moi aussi,
distrait ce dimanche-là par l’échange de regards que je surpris de l’autre côté
des balustres qui me séparaient des fidèles. Oh ! Cela se fit des deux
parts très à la chattemite, Monsieur de Saint-Clair étant un gentilhomme
parfaitement poli et Laurena de Peyrolles ayant appris les bonnes manières avec
les religieuses de Sainte-Marie-des-Anges.
    De quoi parlâmes-nous en ce dîner campagnard que j’ai dit,
sinon de blé, de vin, de lin et de vendanges. Et aussi d’une compagnie de
jeunes sangliers qui avaient fait des ravages dans nos récoltes, tant est
qu’une battue s’imposait. Mais ces sujets étant épuisés, Laurena de Peyrolles,
mais ne devrais-je pas plutôt dire la baronne des Esparres, saisit le dé et
posa une question qui lui tenait assurément plus à cœur que tout ce qu’elle
venait d’ouïr. S’adressant à moi comme vivant à la Cour et étant en la matière
mieux informé que quiconque, elle me demanda ce qu’il en était du mariage
d’Henriette-Marie de Bourbon, sœur du roi, avec le prince de Galles [9] . Elle y mit quelque passion, qui
souleva son beau sein, plaignant de tout son cœur la pauvre princesse qui
attendait depuis quatorze ans que les tractations entre la France et
l’Angleterre aboutissent. Ce qui lui était d’autant plus à dol et dommage, fit
remarquer la petite baronne avec indignation, qu’il y avait belle heurette que
ses deux aînées, Élisabeth et Chrétienne, avaient trouvé leurs princes, la
première épousant l’infant, aujourd’hui roi d’Espagne et la seconde, le duc de
Savoie. Assurément, le duc de Savoie était petit personnage, comparé au roi
d’Angleterre. Mais quelle fille aimerait faire éternellement antichambre à la
porte d’un prince, fut-il le premier de la chrétienté ?
    — Et si le roi d’Angleterre ne veut pas de nous,
conclut Laurena avec feu, qu’il le dise enfin !
    — Madame, dis-je, de ce que l’Angleterre et la France
ont un ennemi commun, l’Espagne, il ne faut pas conclure qu’elles soient bonnes
amies. La religion les divise. Je ne vous l’apprendrai pas : les Anglais
sont anglicans, les Français catholiques. Et s’il est difficile pour un prince
protestant d’épouser une princesse catholique, il est encore plus malaisé, pour
une princesse catholique, d’épouser un prince protestant, car dans ce cas il y
faut l’agrément du pape. Sans sa dispense, point de mariage ! Or, le pape
met à celui-ci de dures conditions. Il exige qu’Henriette, en Angleterre,
jouisse de la liberté du culte, qu’elle élève ses enfants dans la religion
jusqu’à l’âge de douze ans, que le roi d’Angleterre cesse de persécuter ses
sujets catholiques – demande légitime – mais aussi qu’il accorde
auxdits sujets la liberté de conscience – demande des plus étonnantes, car
le pape n’assure pas lui-même à ses sujets protestants, dans ses propres États,
ladite liberté.
    — En effet, dit Monsieur de Peyrolles qui était pieux
mais, comme souvent les bourgeois de longue robe, gallican et peu favorable au
pape.
    — Mais pourquoi ces tractations sont-elles si
difficiles ? s’écria Laurena.
    — Mais, Madame, parce que la négociation est double.
Les Français traitent avec les Anglais, mais ils traitent aussi avec le pape.
Ils tâchent d’amener le Saint-Père à rabattre de ses exigences et s’efforcent
en même temps de persuader les Anglais d’augmenter leurs concessions. La
tractation est très délicate.

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