Le Lys Et La Pourpre
le vis débouler sur moi et me dépassant, s’arrêter à deux
toises de la pente. Je l’allai chercher, pestant en mon for contre ce morion
qui, lorsque je ne l’avais pas sur la tête, n’en faisait qu’à la sienne, et le
replaçant sur mon crâne, rejoignis Hörner qui, à ma vue, devint pâle comme la
mort et dit d’une voix effrayée :
— Herr Graf, êtes-vous blessé ?
— Point du tout.
— Mais, Herr Graf, votre morion ?
Je l’ôtai alors de ma tête et vis qu’il avait été traversé
de part en part par une balle de mousquet, laquelle, par la force de son choc,
l’avait projeté deux toises plus bas.
Je fus, à ce moment-là, traversé par un frisson rétrospectif
qui me fit trémuler de la tête aux pieds et qui ne cessa que lorsque Hörner me
dit :
— Herr Graf, êtes-vous mal allant ?
— Nenni, nenni ! dis-je, reprenant la capitainerie
de mon âme, et je me forçai quelque peu à gausser : voyez-vous, Hörner, la
balle anglaise ne s’est pas trouvée assez dure pour me traverser la caboche.
Elle a dû faire le tour de mon crâne pour sortir de l’autre côté.
Là-dessus, nous rîmes. Nous achevions à peine quand, les
trompettes de Toiras retentissant une deuxième fois pour ordonner la retraite,
je rassemblai mes Suisses et apercevant Nicolas qui couché en chien de fusil,
les yeux clos et la joue appuyée bien sagement sur la main, ne branlait pas
d’un pouce, je me tournai vers Hörner et lui dis :
— Herr Hörner ! Qu’a donc
Nicolas ? Il ne bouge pas ! Est-il touché ?
— Herr Graf, dit Hörner avec un sourire, il
n’est pas blessé. Il dort…
— Il dort ! dis-je. La Dieu merci ! Bercé par
les coups de canon et les mousquetades ! Dieu bon ! Que faudrait-il
donc pour désommeiller ce béjaune ? Les trompettes du Jugement
Dernier ?
— C’est qu’il a dû se démener prou pour garder les
chevaux, dit Hörner qui, vu le jeune âge de Nicolas, était par lui fort
attendrézi.
Et qui ne l’eût été, en effet, à voir notre Nicolas dormir,
aussi paisible et confiant qu’un enfantelet dans son berceau, et qui
sait ? faisant, se peut, des rêves dorés au beau milieu de cette noise
d’Enfer.
Peut-être dois-je expliquer céans, pour l’intelligence de ce
qui suit, que l’île de Ré compte une demi-douzaine de villages, égaillés le
long des côtes, chacun comprenant une majorité de huguenots et une minorité de
catholiques. Les uns et les autres s’entendaient, de reste, assez bien jusqu’à
l’invasion des Anglais. Buckingham occupant l’île, les premiers lui ouvrirent
avec empressement les portes de leurs villages et les accueillirent à bras
ouverts. Les seconds, fidèles au roi, boudèrent fort les envahisseurs,
refusèrent de leur vendre quoi que ce fut, tâchèrent même d’aider, de
ravitailler ou de renseigner Toiras en catimini. D’aucuns même demandèrent à
combattre avec lui dans la citadelle et y furent admis. Certains seigneurs
huguenots du continent, fidèles à leur roi et désapprouvant hautement
l’alliance avec l’étranger, voulurent servir aussi sous Toiras, tandis que,
d’un autre côté, plusieurs centaines de Rochelais protestants traversaient le
petit bras de mer qui sépare l’île du continent pour se donner à Buckingham.
Parmi ceux-ci se glissèrent aussi des loyalistes qui tâchèrent de renseigner
Toiras sur le camp auquel ils feignaient d’appartenir.
C’est par eux que nous sûmes les pertes que le combat de
Sablanceaux avait infligées aux Anglais. Elles furent petites par le nombre mais
de grande conséquence par la qualité de ceux qui furent frappés : trente
et un officiers, soit le tiers des officiers de l’armée d’invasion, furent soit
tués, soit blessés et parmi ceux-ci des officiers de haut grade : Sir
George Blundell, Sir Thomas Yorke, et le colonel d’artillerie, Sir William
Heydon. C’étaient des pertes cruelles, et dont les effets ne laissèrent pas de
se faire sentir, non point tout de gob car les Anglais se tinrent de prime pour
vainqueurs, mais à la longue sur le bon ménagement des troupes insuffisamment
encadrées et en outre décimées par les maladies au cours d’un interminable
siège.
Je sus plus tard que le duc de Buckingham, dès qu’il eut
occupé l’île et ses villages, avait adressé au roi sérénissime un message
triomphal. En fait, il n’avait encore que la peau : l’ours s’était
escargoté avec deux mille hommes dans une
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