Le Lys Et La Pourpre
d’exprimer, mon instinct ne m’avait pas trompé ! C’est donc
bien céans le débarquement ! Tête bleue, d’Orbieu, nous allons attaquer
ces rosbifs ! Maintenant qu’ils sont bien rafraîchis, nous les allons
défraîchir ! Et leur casser en morceaux le plus d’officiers que nous
pourrons ! Dieu sait, tête bleue ! Je ne leur veux aucun mal !
Mais ils n’avaient qu’à rester chez eux ! Nous leur aurions vendu le vin
de nos vignes et le sel de nos marais. Pourquoi diantre faut-il qu’ils viennent
céans les rober jusque dans nos poches, et se saisir de nos villages ?
Il disait ces gentillesses à voix tonitruante pour qu’on les
répétât de proche en proche, car, fin matois qu’il était, il connaissait bien
le soldat français et savait à quel point une petite gausserie dite au bon
moment lui mettait du cœur au ventre. Ainsi en usait déjà Henri IV en son
inépuisable verve, quand sonnait l’heure du combat.
— Comte, reprit Toiras, plaise à vous de remplacer
Nicolas par ce Suisse que voilà pour la garde de vos chevaux et de l’emmener
ensuite avec vous sur la crête. Si vous me le dépêchez au cours du combat, pour
me porter un message, il lui sera plus facile de me joindre, étant connu de
tous.
J’augurai bien de Toiras pour avoir pensé à un moment pareil
à ce détail, alors qu’il avait la responsabilité de conduire une armée au
combat. Mais au combat, précisément, qui peut savoir d’avance quel détail est
futile et lequel, au rebours, devient tout soudain si important qu’il peut
quasiment décider de la victoire. C’est pourquoi je tiens qu’un général peut
être réputé bon, quand il est capable de voir les détails en même temps que les
ensembles, et comme on dit, de « penser à tout ». Et tels, à n’en pas
douter, étaient Louis et le cardinal, comme bien ils le prouvèrent au siège de
La Rochelle.
Belle lectrice, je m’adresse derechef à vous, ayant de vos
mérangeoises la même bonne opinion que des miennes, et décroyant tout à plein
ce qu’on dit de vous à la Cour comme à la ville, à savoir que vous êtes
incapable de rien entendre aux choses de la guerre et d’y prendre le moindre
intérêt. « Vous donnez la vie ! disent les plus chattemites de nos
contemporains, et les soldats donnent la mort. Que pouvez-vous savoir de leur
métier ? »
Voire mais ! Comment donc Jeanne d’Arc apprit-elle ce
métier ? Elle qui battit les meilleurs capitaines de son temps et leur
donna, comme elle disait elle-même avec jubilation, « de bonnes buffes et
torchons ». Notez le mot « torchon » ! C’est la ménagère
qui parle !
Je tiens quant à moi que le sort heureux ou malheureux de
nos armes ne peut laisser les femmes indifférentes, pour ce qu’elles en
subissent les heureuses ou sinistres conséquences. Elles ne peuvent donc faillir
à s’intéresser à notre défense et aux moyens qu’elle emploie : c’est
pourquoi j’entreprends, le plus succinctement que je puis, d’en dire ici ma
râtelée à mes belles lectrices, étant bien persuadé que leurs maris ou leurs
amants, tout en faisant le semblant du contraire, n’en savent guère plus
qu’elles en ce domaine, à moins, bien entendu, qu’ils n’aient été présents à
nos côtés dans le combat de Sablanceaux.
Donc, oyez, belles lectrices. Rien n’est plus simple que ces
outils de mort dont on veut vous faire des mystères. Prenons de prime les gens
de pied. Leurs armes sont la pique et le mousquet. Il fut une époque où la
pique prédominait sur le mousquet. Mais notre temps donne la préférence à
l’arme à feu et dans les compagnies, il n’y a plus qu’un piquier pour trois
mousquetaires. Ceux-ci, qui sont sur la terre ferme, usent d’une sorte de
fourche à deux branches qu’ils appellent « fourquine » pour reposer
le canon de leur arme, ce qui leur donne évidemment plus de précision dans leur
tir dont la portée va jusqu’à cent ou cent cinquante toises [81] . Les cavaliers, assis sur des
montures mouvantes, ne disposent évidemment pas de fourquines et comme le
mousquet est lourd (plus lourd que l’ancienne arquebuse) leur tir est plus
aléatoire et la cible qu’ils se donnent nécessairement plus rapprochée. Ils
sont aussi beaucoup moins à l’aise pour recharger leur arme et pour cette
raison, certains préfèrent au mousquet les pistolets dont l’avantage est la
légèreté et le désavantage, une plus courte portée.
Quand un
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