Le Lys Et La Pourpre
formidable citadelle bien garnie en
canons.
Le lendemain du combat de Sablanceaux, Monsieur de Toiras me
vint voir en ma maison de la citadelle, alors que je prenais mon déjeuner
auquel, sans façon, il voulut bien s’inviter, mangeant et buvant à gueule bec.
— Comte, dit-il, nos pertes n’ont certes pas été
légères, surtout parmi nos cavaliers, dont douze gentilshommes [82] des meilleures familles sont
demeurés sans vie sur la plage de Sablanceaux. Et cela me douloit fort.
J’aimerais que vous alliez trouver Bouquingan pour quérir de lui la permission
de les ensépulturer ainsi que nos soldats. D’autre part, trois de mes barons,
Saujon, Marennes et Saint-Seurin, ont été gravement navrés. Et je voudrais
demander à Bouquingan la permission de les envoyer sur le continent pour
recevoir les soins que je ne peux leur donner céans. Pensez-vous que Bouquingan
acceptera ces demandes ?
— Monsieur de Toiras, ces demandes, surtout la seconde,
sont énormissimes. Mais il se peut que Bouquingan y acquiesce. Tout dépendra de
la manière dont sera formulée la requête.
— Et de quoi sera faite cette manière-là ?
— Elle tient en trois mots : cajolerie, courtoisie,
cadeau.
— Un cadeau ! Diantre ! Et quel cadeau
peut-on trouver qui soit digne d’un duc ?
— Il n’est pas nécessaire qu’il soit de prix.
Buckingham puise à pleines mains dans le trésor de Charles I er et n’aurait cure d’un sac d’écus. Nenni, nenni, il faudra quelque chose
d’inaccoutumé et de romanesque qui frappe son imagination et il y faudra aussi
une lettre rédigée dans les formes les plus courtoises et écrite de votre main.
— De ma main ! s’écria Toiras comme effrayé. À la
rescousse, d’Orbieu ! À la rescousse !
J’acquiesçai. Nicolas apporta une écritoire et Monsieur de
Toiras et moi mettant nos mérangeoises en commun, nous écrivîmes une lettre qui
fut tout ensemble « cajolante et courtoise ». Il était dit que
Monsieur de Toiras qui jusque-là n’avait pas vu à l’œuvre les soldats anglais,
les tenait meshui, après le combat de Sablanceaux, pour les plus braves du
monde. Que Son Altesse, le duc de Buckingham, en cette lutte, avait conquis une
gloire immortelle et que Monsieur de Toiras, s’il venait à périr au cours de
cette guerre loyale, tiendrait à grand honneur de lui léguer son cheval.
Cette suggestion était de moi, et Monsieur de Toiras, de
prime, la prit très à la rebelute.
— Morbleu ! dit-il, moi mort, ma jument irait à
cet Anglais ! Je préférerais rôtir en Enfer !
— Mais mon ami, dis-je avec un sourire, ne se
pourrait-il pas que, de toute guise, vous alliez là où vous dites.
Toiras étant un homme de prime saut, cette saillie le fit
rire à ventre déboutonné.
— D’Orbieu, dit-il, vous êtes un joyeux compagnon et
vous vous gaussez comme si vous étiez d’oc.
— Mais je suis d’oc, dis-je, par mon grand-père
paternel qui avait baronnie en Périgord.
— Eh quoi ! dit Toiras. Vous êtes d’oc ? Qui
l’eût cru en entendant votre français pointu et précipiteux ! Mais c’est
que cela change tout ! ajouta Toiras qui, dès cet instant, laissant tomber
d’un coup toutes les préventions qu’il nourrissait à l’égard d’un envoyé du
roi, me traita en ami. Néanmoins, reprit-il, ne trouvez-vous pas que le legs de
mon cheval a quelque chose d’un peu outré ?
— Nullement ! Buckingham est raffolé du romanesque
et du chevaleresque. Il trouvera l’idée fort belle et il en sera très touché.
— Allons-y donc gaiement, dit Toiras et reprenant la
plume en main, il la fit courir sur le papier. Ma pauvre jument !
soupira-t-il. Si elle pouvait lire ceci, elle hennirait d’indignation.
« Voilà bien les hommes ! » dirait-elle.
Toiras me pressant de départir incontinent, je fis quelque
toilette, mis ma plus belle vêture, ceignis ma plus belle épée et montai sur
mon Accla, resplendissante elle aussi. Je sortis de la citadelle précédé par un
trompette et suivi de Nicolas. Ce ne fut pas sans quelque émeuvement que je
revis les dunes de Sablanceaux, lesquelles les Anglais avaient pris soin
d’entourer d’une palissade pour se protéger d’un renouveau de nos attaques.
Arrivant devant lesdites palissades, j’ordonnai au trompette de sonner.
— Quel air, Monsieur le Comte ? demanda-t-il.
— Les matines.
Dès les premiers accords, des têtes coiffées de
bourguignottes apparurent avec
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