Le Lys Et La Pourpre
cavalier a déchargé son arme ou ses armes, il ne
lui reste plus qu’à tirer son épée, à moins qu’il n’utilise la caracole que
j’ai décrite en note au chapitre II du présent tome de mes Mémoires :
le cavalier court sur l’ennemi, lâche son coup ou ses coups, puis fait
demi-tour et galope pour se mettre à la queue de son escadron afin d’avoir le
temps de recharger son mousquet ou ses pistolets. C’est, en fait, la seule
tactique possible quand la cavalerie attaque l’infanterie, car il ne servirait
à rien au cavalier de tirer l’épée pour affronter les piques. L’épée ne vaut
que dans un corps à corps de cavalier à cavalier.
La recharge du mousquet est extrêmement lente et la cadence
de tir est d’un coup toutes les cinq minutes, tant est que les mousquetaires à
pied, une fois leur coup lâché, seraient sans défense aucune s’il n’y avait pas
les piquiers. Ce qui explique aussi en partie les péripéties initiales du
combat que Toiras livra aux Anglais et que je vais maintenant conter.
Toiras partagea sa cavalerie en huit escadrons qui, l’un
après l’autre, devaient charger l’infanterie anglaise, puis revenir aussitôt à
leur point de départ après avoir tiré. C’était là une variation de la caracole.
Malheureusement, cette charge était nécessairement lente et pénible, car il
fallait aux cavaliers monter en haut des dunes dans le sable et, leur sommet
atteint, dévaler la pente jusqu’à la plage.
Or, les gens de pied anglais, alignés en ordre parfait sur
la plage, attendaient depuis belle heurette cette attaque, l’œil fixé sur le
haut des dunes, le canon de leur mousquet chargé reposant sur les fourquines,
le doigt sur la détente. Et les canonniers des vaisseaux, qui jusque-là
n’avaient fait que harceler nos troupes par des coups espacés, avaient chargé
tous les canons disponibles et n’attendaient plus que le moment d’y porter la
mèche pour tirer à vue.
Dès que les cavaliers de notre premier escadron eurent
franchi la crête des dunes (point aussi vite qu’ils l’eussent voulu en raison
du sable), ce fut un déchaînement assourdissant de mousquetades et de
canonnades. La gorge serrée à me douloir et mon cœur battant la chamade, je vis
les nôtres fauchés par dizaines, et s’il s’en revint à leur base deux ou trois,
ce fut miracle.
Le deuxième escadron commandé par Toiras eut toutefois
beaucoup plus de chance, car ni les mousquets anglais et moins encore les
canons n’avaient eu le temps de recharger, quand les nôtres entrèrent à la
furie dans les deux régiments anglais, lesquels eussent plié sous le choc, si un
troisième régiment qui débarquait à peine n’était venu à la rescousse.
Les cinq derniers escadrons chargèrent ensuite l’un après
l’autre, leur fortune, heureuse ou malheureuse, se jouant sur le temps que les
ennemis mettaient à recharger armes légères et armes lourdes.
Celles-ci toutefois ne purent plus intervenir quand nos gens
de pied, lancés à la parfin à l’assaut, en vinrent au corps à corps avec les
fantassins anglais, cette mêlée sauvage et confuse causant autant de pertes
d’un côté comme de l’autre. Cependant, les régiments anglais continuaient en
pleine bataille à débarquer avec autant de calme que s’ils eussent été à la
parade. Et leur nombre grossissant sans cesse, Toiras entendit bien que s’il
poursuivait l’attaque, il allait perdre beaucoup de monde sans pour cela
empêcher l’invasion. Vif, expéditif et résolu comme il l’était toujours, il
commanda sans tant languir aux trompettes de sonner le cessez-le-feu et la
retraite.
Il se passa quelques minutes plus tôt sur la crête où nous
étions, Hörner et moi, deux incidents assurément de petite conséquence, mais
qui nous émurent fort, l’un de peur, l’autre de rire. Vous avez bien ouï :
de rire. Oui-da ! nous rimes en un moment pareil !
Le soleil était encore fort brûlant et la chaleur en même
temps que les émeuvements que la vue du combat m’inspirait firent que je fus
bientôt fort suant. Et me trouvant en tel déconfort, j’ôtai mon morion dont le
poids sur le front m’était insufférable et le posai à côté de moi. Mais le
voyant sans cesse glisser sur le sable et las de l’aller chercher chaque fois
plus bas pour le quérir, je le posai à la parfin sur la crête de la dune, seul
endroit plat dont je pus disposer. Mais à peine l’avais-je fait tenir en
équilibre que je
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