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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sans ajouter un mot, tant
il jugea inutile la poursuite d’une négociation à laquelle Monsieur de Toiras
venait de mettre un terme avec tant de fermeté. Mais s’avisant sans doute qu’un
départ abrupt pourrait offenser son vis-à-vis, et pensant que dans un tel
prédicament, il valait mieux dire des riens que ne rien dire, My Lord Denby se
mit à parler de bagatelles d’un air aimable et léger. Je traduisis au fur et à
mesure et entre deux phrases je glissai à Monsieur de Toiras le conseil
d’entrer dans le jeu de My Lord Denby. C’est ainsi que discourant de choses et
d’autres, Monsieur de Toiras en vint à parler de melons. Lecteur, vous avez
bien ouï : de melons. Notre maître de camp demanda gravement à My Lord
Denby si dans l’île de Ré on trouvait encore des melons. Et My Lord Denby, tout
aussi gravement, lui dit qu’il l’ignorait, mais qu’il ne faillirait pas de se
renseigner à ce sujet. Là-dessus, on se sépara avec toutes les cajoleries et
courtoisies du monde, et non sans que Monsieur de Toiras n’offrît à My Lord
Denby pour My Lord Buckingham deux flacons de son meilleur vin, en déplorant
avec beaucoup de bonne grâce la modestie de ce présent.
    Deux jours plus tard, le trompette de My Lord Denby se
présenta à la porte de la citadelle porteur d’un fort gros paquet qui,
éveillant la méfiance des gardes, fut incontinent ouvert : il contenait
une douzaine de beaux melons, envoyés, dit le trompette, par My Lord Duke of
Buckingham à Monsieur le maître du camp.
    — Sanguienne ! dit Toiras, quelle guerre est-ce
là ! Vous verrez qu’à la parfin, Bouquingan voudra donner une fête en
notre honneur à bord de son vaisseau amiral !
    Sur mon conseil, il graissa le poignet du trompette d’une
vingtaine d’écus, non sans quelque regret, car étant né de bonne noblesse, mais
pauvre, du Languedoc, il était un peu chiche-face. Et il poussa des cris
d’orfraie quand je suggérai qu’il donnât à Bouquingan, pour sa duchesse, les
six jolis flacons de fleur d’oranger que j’avais vus sur sa cheminée.
    — Morbleu, Comte ! s’écria-t-il. Je les ai achetés
en Provence pour Madame mon épouse, et vous voudriez qu’ils aillent arroser les
plats tétins d’une Anglaise !
    — Mais voyons, mon ami ! dis-je en riant, ils ne
sont pas tous plats, tant s’en faut ! Et de reste, il suffirait que la
belle soit transplantée en Italie, où à peine arrivée, étant incontinent
regardée, admirée, complimentée, cajolée, et ococoulée par les chaleureux
Italiens, on verrait ses tétins, en moins d’un mois, faire éclater son corps de
cotte…
    Bien que cette prédiction fut bien aléatoire, elle remplit
son office. Toiras céda. Les flacons furent apportés aussitôt à My Lord
Buckingham par notre trompette, lequel reçut de la main du duc vingt jacobus.
Il fut, du reste, le seul qui profita en cette affaire. Car lorsque My Lady
Duchess of Buckingham reçut par bateau de son époux les flacons de fleur
d’oranger, elle ne voulut même pas les ouvrir, car étant offerts par ces
Français traîtreux et débauchés, ils ne pouvaient qu’être empoisonnés, et rien
que de se les mettre sous le nez serait aspirer une vapeur mortelle…
    Soubise à Londres avait été formel. Dès lors que My Lord
Buckingham apparaîtrait devant La Rochelle, la ville lui ouvrirait son port et
ses portes. Et il faut bien dire que les Rochelais eux-mêmes avaient donné
cette impression au duc par les frénétiques appels au secours dont depuis des
mois à Londres ils avaient fatigué ses oreilles. My Lord Buckingham pouvait
donc espérer que le jour même où il occuperait l’île de Ré, les Rochelais,
s’engageant à ses côtés, se révolteraient contre le roi.
    Il n’en fut rien. Malgré les menées dans la ville d’une
minorité fanatique inspirées par la duchesse de Rohan, le duc de Rohan et
Soubise, une majorité qui craignait pour sa tranquillité, ses biens, ses
bateaux et ses privilèges, s’opposa à la rébellion. Cependant elle permit à un
assez fort contingent de gentilshommes huguenots d’aller se battre aux côtés
des Anglais.
    Ce contingent arriva dans l’île après le combat de
Sablanceaux et un mois plus tard, rien ne se passant que l’encerclement
progressif de la citadelle, La Rochelle les rappela. Ces huguenots, jeunes et
ardents, ressentirent vivement dans leur honneur le fait de retourner se mettre
à l’abri dans leur ville sans avoir combattu.

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