Le Lys Et La Pourpre
son
cercueil, son premier soin serait de le bien aménager afin de pouvoir attendre
le plus commodément possible la résurrection des morts.
Si bien je me ramentois, ce fut deux semaines plus tard que
Monsieur de Toiras décida de diminuer la ration quotidienne du soldat : il
ne reçut plus par jour qu’un pain, du beurre, et une demi-pinte d’eau. Les
mottes de beurre, entourées de linge mouillé, étaient suspendues le jour à
l’ombre et dans les endroits ventés, afin de prolonger leur fraîcheur. Elles
aussi étaient étroitement gardées.
Je décidai, après avoir consulté Hörner et Nicolas,
d’accepter ces rations, mais étant nous-mêmes bien pourvus en vivres, de les
porter chaque jour à l’hôpital du fort en même temps que quelques pintes de
notre eau, laquelle était assurément plus saine que l’eau des puits dont
personne n’aurait su dire quand ils avaient été curés pour la dernière fois.
La coutume voulait qu’on appelât cet hôpital la maladrerie,
alors même qu’il n’avait jamais abrité un seul lépreux. Quand je le visitai, je
fus atterré de n’y trouver qu’un seul barbier chirurgien, un seul médecin, deux
ou trois infirmiers des plus frustes et fort peu de médicaments.
Nos dons quotidiens à la maladrerie ne passèrent pas
inaperçus, et bien qu’ils ne comportassent pas d’arrière-pensée habile, ils
eurent dans la suite un effet très heureux car personne, même quand la disette
devint famine, ne nous garda mauvaise dent d’être mieux lotis que la plupart,
vu que nous étions si donnants aux blessés et aux malades.
C’est à cette époque que Zeus m’inspira une idée que je
n’eusse peut-être pas eue sans lui. Le promenant au bout d’une laisse le long
des remparts, j’arrivai au musoir que j’ai décrit, et là, tout soudain,
Zeus, échappant à ma laisse, descendit en trombe l’escalier qui y menait, se
plongea dans l’eau avec délices, s’ébrouant d’abord, mais à la fin
s’immobilisant, ne laissant que ses narines hors de l’eau. Pendant tout ce
temps, il me regardait comme s’il me demandait de le rejoindre, ce que, ma
vêture enlevée, je finis par faire et m’en trouvai bien, car sans que j’eusse
bu la moindre goutte d’eau salée, je me sentis considérablement rafraîchi et
fort étonné, au demeurant, que l’idée ne m’en fût pas venue seul.
My Lord Buckingham dut apprendre par ses mouches que la
disette nous menaçait car il adressa à Toiras le trente et un août une
lettre-missive qui, tout enrobée qu’elle fût de ses coutumières courtoisies,
n’en était pas moins comminatoire : il conviait notre gouverneur à se
rendre tout de gob entre ses mains « sous des conditions plus honorables
qu’il ne devait espérer à l’avenir s’il l’obligeait à poursuivre ».
Toiras, à lire cette lettre, écuma de rage, et il me fallut
quelque temps avant de le pouvoir apaiser et le persuader d’écrire à My Lord
Buckingham une lettre aussi suave que celle qu’il lui avait précédemment
envoyée. Il y réussit fort bien. Plaise au lecteur de n’en citer que cette
seule phrase :
« Ni le désespoir des
secours, ni la crainte d’être maltraité en une extrémité ne me peuvent faire
quitter le dessein d’employer ma vie au service de mon roi. Comme aussi je me
sentirais indigne d’aucune de vos faveurs si j’avais omis un seul point en cette
action dont l’issue ne me peut être qu’honorable. Et d’autant que vous aurez
contribué à cette gloire, d’autant plus serai-je obligé d’être toute ma vie,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. »
Cette lettre, que je trouve émerveillable à la fois dans le
bien-dire, le ton et la fermeté, ne me doit rien, lecteur, et doit tout à
Toiras. Et de son propre cru écrite. Mon seul rollet, en cette affaire, fut d’apazimer le maître de camp – comme il disait en oc –, ce qu’il eût fait de
toute manière, car bien qu’il fut homme de prime saut et fort escalabreux, il
ne se laissait jamais dicter ses décisions par son ire, mais par sa raison et
l’extrême finesse qu’il portait en toutes choses.
Sinon par Toiras, quelques gentilshommes et nos Suisses,
l’exemple de ma baignade quotidienne fut peu suivi, tant était grande chez nos
soldats la peur de l’eau, laquelle, selon leurs dires, pénétrait insidieusement
par les pores de la peau jusqu’aux entrailles, et y introduisait
d’inguérissables
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