Le Lys Et La Pourpre
convictions, c’est ce que je dirai plus loin.
Je prenais ma repue de midi avec Monsieur de Toiras, quand
un tout jeune lieutenant du régiment de Champagne, grand et bien membré, mais
rose comme un enfantelet, demanda à lui parler et obtint audience dans
l’instant.
— Monsieur le Maître de camp, dit le béjaune, raide
comme un piquet, nos tranchées ont beaucoup avancé. Celles des Anglais aussi.
Et nous sommes meshui à portée de mousquet les uns des autres.
— Les voyez-vous ? dit Toiras d’un ton bref et
expéditif.
— Nous voyons leurs bourguignottes quand ils se
haussent au-dessus de leurs parapets pour nous épier.
— Si vous les voyez, c’est que vous en faites autant.
— Oui, Monsieur le Maître de camp, dit le lieutenant.
— Eh bien, continuez ! dit Toiras. Mais avec
prudence.
— Mais, Monsieur le Maître de camp, quand nous voyons
émerger une bourguignotte, devons-nous lui tirer sus ?
Toiras envisagea le jeune lieutenant œil à œil.
— Et que pensez-vous faire par là, Lieutenant ?
Gagner la guerre ? À supposer que vous touchiez votre cible, il y aura
huit mille Anglais moins un, c’est-à-dire sept mille neuf cent
quatre-vingt-dix-neuf. Quel gain est-ce là ? Et vous aurez perdu une balle
et de la poudre. Or, des balles et de la poudre, seuls les Anglais peuvent se
permettre de les prodiguer. Mais point nous. Nous en avons juste assez pour
notre défense.
Le lieutenant juvénilement rougit et parut fort déconfit par
cette petite rebuffade, encore que le ton n’en fût pas acerbe.
— Monsieur le Maître de camp, dit-il d’une voix
enrouée, dois-je entendre qu’il ne faut pas tirer ?
— Vous m’avez bien entendu. Ne tirez sur les Anglais
que s’ils donnent l’assaut à votre tranchée. Et si d’aucuns doutent encore à ce
sujet, faites passer le mot dans les tranchées.
« Eh bien, voilà ! dit Toiras dès que le béjaune
eut tourné les talons. Voilà qui est clair. Nous sommes meshui tout à plein
encerclés et sur terre et sur mer. Vous allez voir que Buckingham va s’imaginer
qu’il a déjà partie gagnée !
Et en effet, l’ennemi n’attendit pas au-delà du lendemain
pour nous faire une visite des plus gracieuses.
Sur le coup de midi, on vint dire à Toiras qu’un gentilhomme
anglais, précédé d’un trompette et suivi d’un écuyer, demandait l’entrant.
Toiras ordonna aussitôt qu’on les admît dans la citadelle.
— Comte, dit Toiras, peux-je vous prier de confier à
Hörner le trompette et l’écuyer, qu’il leur porte une tostée de bon vin rétais,
et leur offre pain, beurre et jambon s’ils le désirent. Je ne voudrais pas que
les Anglais croient que nous sommes déjà démunis. Encore que nous n’en soyons
pas si loin. Et de grâce, revenez promptement me servir de truchement, car du
diantre si j’entends un traître mot au baragouin de ces messieurs…
Le gentilhomme s’appelait Lord Denby, lequel j’avais vu à
Londres dans l’entourage de My Lord Buckingham, dont il était cousin, si bien
je me ramentois. À le voir il me donna le sentiment d’être, si je puis dire, le
jumeau de son cousin, tant sa vêture, son air, et ses manières étaient
semblables. Mais il se peut aussi qu’il les ait tout simplement imités,
Buckingham étant l’idole, le miroir et l’arbitre des élégances à la Cour
d’Angleterre, rien n’étant de bon ton qu’il ne l’eût d’abord décidé.
L’écuyer et le trompette de My Lord Denby confiés avec sa
permission aux bons soins de Hörner, My Lord Denby s’excusa d’abord de ne
parler que sa propre langue, « la belle langue française », dit-il en
français, lui étant tout à plein déconnue. Là-dessus il enchaîna sur son propos
dans un anglais aussi fluide, musical et suave que celui de son cousin. Dans
les termes les plus galants, My Lord Denby fit observer à Monsieur de Toiras
combien sa situation était désespérée et, en conséquence, le somma de se
rendre.
— Monsieur, dit Toiras avec un salut des plus courtois,
le roi très chrétien m’a donné cette citadelle à garder. Et étant fidèle
serviteur de mon roi, comme vous l’êtes du vôtre, je la garderai jusqu’au bout,
et si vous y pénétrez un jour, c’est que je serai mort en la défendant.
Ceci fut dit avec une sorte de rondeur gasconne, mais sans
emphase, et je tâchai dans ma traduction de lui garder ce caractère à la fois
ferme et bon enfant. My Lord Denby salua de la tête
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