Le Lys Et La Pourpre
pression et l’influence de Sir
John Burgh ou d’un autre soldat de même métal, dont le cœur, à la longue, était
devenu aussi dur que sa cuirasse.
CHAPITRE XV
Ce qui, après le combat de Sablanceaux, nous plongea tous
dans une surprise non pareille, fut le temps longuissime qui s’écoula entre le
moment où l’armée anglaise débarqua, et le moment où elle apparut sous les murs
de notre citadelle.
Ce ne fut pas que Toiras se plaignît de cet inespéré sursis,
car il lui permit de poursuivre l’envitaillement du fort. Il put alors
augmenter ses réserves de vivres mais sans toutefois qu’elles atteignissent un
niveau suffisant, les ressources des villages avoisinants étant bien trop
restreintes pour y pourvoir tout à plein. Tant est qu’il était d’ores et déjà à
craindre, si le siège tirait en longueur, que le spectre de la famine ne
faillît à montrer sa face blafarde au-dessus de nos remparts.
Le combat de Sablanceaux se déroula le vingt et un juillet,
et à partir de cette date, chaque nuit, Toiras à la pique du jour, ou à la nuit
tombante, glissait quelques éclaireurs jusqu’à Sablanceaux afin de déceler les
signes qui pouvaient donner à penser que les Anglais allaient faire mouvement.
Toiras fut déçu, si j’ose ainsi parler. Les Anglais restaient clos et cois
derrière leurs palissades et ne branlaient mie.
C’est seulement le vingt-cinq juillet – quatre longs
jours après le débarquement et bien plus longtemps qu’il n’eût fallu pour
reposer leurs chevaux – qu’ils commencèrent à bouger. Mais nous n’étions
pas pour autant au bout de nos surprises : pour parcourir les quelques
lieues qui séparent Sablanceaux de notre citadelle, il leur fallut cinq jours,
alors que dans notre retraite, qui se fit sans précipitation aucune, puisque
nous n’étions pas poursuivis, il n’avait pas fallu plus de cinq heures à nos
gens de pied pour couvrir le même chemin…
On crut d’abord qu’ils s’étaient arrêtés au nord-ouest de la
plage de Sablanceaux pour faire le siège du Fort de la Prée où nous avions une
petite garnison, mais les Anglais dédaignèrent, en fait, cette maigre proie, et
passèrent devant elle sans s’arrêter. En quoi l’événement devait prouver qu’ils
avaient eu grand tort, car le Fort de la Prée servit de refuge à l’armée de
secours de Schomberg quand elle débarqua de prime ses hommes par petits paquets
de cent ou deux cents soldats, lesquels trouvèrent fort expédient d’avoir ces
murailles toutes proches pour s’abriter et se regrouper.
Avec Toiras, avec Clérac et les officiers du régiment de
Champagne, nous disputâmes à table de la raison de ce train de tortue des
Anglais, et d’aucuns l’attribuèrent à l’inexpérience de Buckingham qui, à ce
jour, n’avait mie commandé une armée. Chacun en dit là-dessus sa râtelée sans
succéder à convaincre l’autre, et ce fut Hörner qui eut le dernier mot, et
encore me fallut-il quasiment le contraindre pour le faire saillir, ce dernier
mot de son gargamel, tant mon bon Suisse était rebelute à ouvrir le bec devant
tous ces beaux gentilshommes qui le dépassaient de si haut tant par la naissance
que par le grade.
— Monsieur le Gouverneur, dit-il à Toiras dans les
formes du plus grand respect, vous avez appris par vos espions que les Anglais
d’une étape à l’autre marchent toujours en ordre de bataille, c’est-à-dire fort
lentement, établissent leur camp de bonne heure avec le plus grand soin, le
fortifient comme s’ils allaient être attaqués pendant la nuit, prenant en
conséquence beaucoup de temps le matin pour défaire le camp de la veille,
partent tard pour une nouvelle étape, et s’arrêtent tôt pour établir un nouveau
camp. Cette méthode est celle du prince d’Orange sous lequel les colonels
anglais ont sans doute appris leur métier, et elle est bonne quand on évolue en
pays ennemi à proximité de puissantes armées. Mais dans le présent prédicament,
les Anglais étant fort de huit mille hommes, c’est-à-dire quatre fois plus
nombreux que nous – qui, de plus, sommes enfermés dans notre
citadelle –, cette routine de marche, vu les circonstances, me paraît tout
à plein…
— Cette routine vous paraît tout à plein… ?
demanda Toiras, voyant que Hörner n’achevait pas sa phrase.
— Avec votre permission, Monsieur le Gouverneur, dit
Hörner en rougissant, je dirais qu’elle me paraît tout à plein
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