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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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qui,
avec son mousquet, tirait un moineau en plein air, ou éteignait d’un coup de
pistolet la flamme d’une chandelle. Je réussis néanmoins à placer ma balle dans
une des parties de peinture blanche mais, à vrai dire, assez loin du centre. Je
m’attendais à ce que Monsieur de Saint-Clair fit mieux, mais il fit plus mal,
tant il était, je crois, encoléré.
    — C’est donc mon tour, dit Monsieur de Peyrolles en
s’avançant avec un certain air de pompe et de cérémonie.
    Il se campa de profil et le bras droit porté à l’horizontale
prit un temps infini pour viser.
    Il était dit que ce coup-là, il ne devait pas le tirer, car
à cet instant précis, il y eut un bruit menaçant de galopade et trois
cavaliers, franchissant le passage de la haie, firent irruption dans le champ
de tir avec des hurlements sauvages et poussèrent leurs chevaux contre nos
hommes, lesquels, sans penser un instant qu’ils avaient entre leurs mains de
quoi se défendre, se débandèrent et coururent se mettre à couvert dans l’espace
entre les planches qui servaient de cibles et la palissade qui, derrière elle,
recevait les carreaux qui n’avaient pas touché leur but. Nous ayant ainsi
isolés de notre troupe, les trois cavaliers revinrent vers nous en poussant
toujours leurs cris farouches et bridèrent leurs chevaux à cinq toises de nous.
À leur harnais noir, je reconnus des reîtres allemands. Ils portaient épée et
dague et je n’ignorais pas que chacun avait deux pistolets à rouet dans leurs
fontes : pistolets qu’ils maniaient avec une dextérité qui les avait
rendus célèbres dans toutes nos guerres, quel que fût le camp où ils
combattaient car, étant mercenaires, ils vendaient leurs services à qui les
voulait acheter, aux huguenots comme aux catholiques, aux rois comme aux
Grands, à la reine-mère comme à son fils [11] .
    Ils ne vinrent pas se camper devant nous sur la même ligne,
mais l’un derrière l’autre, le second étant un peu décalé par rapport au
premier sur la gauche afin d’avoir des vues sur nous et le troisième décalé
aussi par rapport au second. Je ne sais si cette disposition était tactique ou
hiérarchique, et il se peut qu’elle ait été les deux, car le premier reître qui
se campa devant nous me sembla être le chef puisque seul il parla, les deux
autres se contentant de l’approuver.
    Quant à nous trois, nous étions dans la pire situation qui
fût. Mon pistolet et celui de Monsieur de Saint-Clair étaient déchargés. Seul
ne l’était pas celui de Monsieur de Peyrolles, mais le barbon était si pesant
et si lent que je doutais qu’il pût intervenir à bon escient. De vergogne et de
désespoir, je sentais et même j’oyais mon cœur battre contre ma poitrine. Nous
étions battus avant même d’avoir combattu ! Que pouvaient deux pistolets
vides contre six pistolets chargés ? Et que pouvaient contre ceux-ci les
épées que Saint-Clair et moi portions à nos côtés ?
    Le chef des reîtres entendit aussi bien que nous l’ironie
cruelle de notre situation. Il lâcha les rênes de son cheval et, enfouissant
ses deux mains simultanément dans ses fontes, en tira deux pistolets qu’il
braqua comme négligemment sur Saint-Clair et sur moi. Ce faisant, il nous
dévisageait d’un air mi-gaussant, mi-déprisant. Puis se tournant sur sa selle,
il s’adressa aux deux autres reîtres en sa langue.
    — Quelle armée est-ce là ? dit-il d’une voix
railleuse. Une dizaine de braves soldats qui, à la vue de trois hommes, courent
se réfugier derrière des planches ? Et trois officiers qui ont un pistolet
à la main et qui n’osent pas tirer !
    À cela, les deux autres reîtres se mirent à rire à gueule
bec et leur chef les imita. Monsieur de Saint-Clair n’entendait pas l’allemand,
mais il entendit fort bien, en revanche, qu’on le daubait et pâlit de colère.
Je craignis alors qu’il ne dît, ou ne fît quelque chose qui fut pour le chef
des reîtres un prétexte pour nous tuer et je criai dans la parladure
d’Orbieu :
    — Pour l’amour de Dieu, ne parlez pas !
    Ce commandement s’adressait aussi à Monsieur de Peyrolles et
je vis bien que sa vanité, malgré la gravité de l’heure, fut comme chiffonnée
que je lui donnasse un ordre. De son côté, le chef des reîtres sourcilla fort à
ouïr hurler un commandement dans une langue qui lui était tout à plein déconnue
et en braquant un de ses pistolets sur moi plus sérieusement qu’il ne

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