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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’avait
fait jusque-là, il dit en français car à ma surprise il le parlait fort bien et
avec un bon accent :
    — Monsieur, quel est ce baragouin ? Et que leur
avez-vous dit ?
    — Ce baragouin est celui du pays. Et je leur ai dit de
ne pas répondre à vos provocations.
    Le mot « provocations » parut le choquer et d’une
façon méticuleuse qui ne laissa pas de m’étonner, il entreprit de réfuter cette
allégation.
    — Ce ne sont point des provocations, dit-il, mais la
pure vérité. Nous vous tenons à merci.
    — Monsieur, dis-je d’un ton parfaitement poli, votre
situation n’est pas aussi bonne que vous le pensez. Si vous nous tuez, nos
arbalétriers vont se dire : « S’ils tuent de prime nos maîtres, notre
tour viendra après. » Et la peur leur donnant du cœur au ventre, ils vont
vous tirer leurs carreaux dans le dos. À ce que je vois, il y en a déjà deux
qui vous tiennent en joue.
    À cela, comme bien je l’avais prévu, le chef des reîtres se
retourna sur sa selle et envisagea avec attention le fond du champ de tir où on
voyait bien, en effet, dans l’intervalle entre les planches, des arbalètes,
mais sans pouvoir dire si elles visaient quelqu’un.
    Si Monsieur de Peyrolles avait eu en sa cervelle une once
d’à-propos, c’est au moment où le reître se retourna sur sa selle qu’il aurait
dû tirer sur lui. Mais malgré un petit signe rapide des yeux que je lui fis
pour l’y encourager, il ne m’entendit pas.
    — Ah ! Je ne crois pas qu’ils tireront, dit le
chef des reîtres en se retournant vers moi. Tout ce que ces cagues-foireux
savent faire, c’est lâcher leur bren dans leurs hauts-de-chausse…
    La gausserie lui parut si bonne qu’il la retraduisit en
allemand. À quoi ses deux acolytes rirent à gueule bec et, se joignant à eux,
il parut lui-même tout ragaillardi, ce dont je n’augurais rien de bon, sentant
bien que le jeu du chat et de la souris ne l’amusait plus guère et que l’envie
de nous expédier tous trois à la chaude commençait à le démanger. Toutefois,
peut-être aurait-il épargné Monsieur de Peyrolles, sans doute à cause de son
âge et de sa bedondaine, car il devait le tenir pour quantité négligeable, ne
s’étant jamais adressé à lui depuis qu’il était là. Attitude dont j’entendis,
quelques secondes plus tard, à quel point elle avait offensé le bonhomme.
    — Monsieur, dit le reître, bien que je m’amuse fort en
votre compagnie, il faut bien en finir. Je vous propose un petit duel. Vous
avez chacun un pistolet, j’en ai deux et je tire des deux mains. La partie est
donc égale. Je vous propose ceci. Je compte jusqu’à trois et nous tirons, vous
sur moi, et moi sur vous.
    — Monsieur, dis-je, la partie ne serait pas égale. Mon
pistolet est vide.
    — Le mien aussi, dit Saint-Clair aussitôt.
    J’ai pensé et j’ai pensé plus de mille fois depuis que si
Monsieur de Peyrolles, sans mot dire, avait alors promptement tiré sur le
reître, il l’eût tué, car notre adversaire ne lui prêtait pas la moindre
attention. Il l’avait une fois pour toutes exclu, mais justement parce que
l’Allemand l’avait exclu et que sa vanité en avait cruellement souffert,
Monsieur de Peyrolles voulut rentrer dans le jeu et au lieu d’agir, ce grand
parleur parla.
    — Mais le mien est chargé, dit-il, la crête haute.
    Et d’un mouvement lent et théâtral, il leva le bras pour
ajuster le reître.
    Il n’eut même pas le temps d’achever ce noble geste et moins
encore de faire feu. Le reître tira le premier, Monsieur de Peyrolles, lâchant
son pistolet, s’écroula sur l’herbe. Aussitôt, Saint-Clair se jeta à genoux à
côté de son corps et j’entendis en un éclair ce qu’il allait faire : sous
couvert de porter secours à Monsieur de Peyrolles, il allait ramasser son
pistolet. Si téméraire que fût cette entreprise, c’était la seule chance qui
nous restait et je décidai en un battement de cils de l’aider en faisant
diversion. Je jetai mon propre pistolet sur les pieds du cheval qui me faisait
face. Il fit en arrière un vif écart qui amena le chef des reîtres à reprendre
ses rênes d’une main. À la suite de quoi, pointant vers l’homme un doigt
accusateur, je criai d’une voix forte et en allemand :
    —  Und jetzt hast du den alten Herr getötet, du böser
Mensch ! (Et maintenant, tu as tué le vieux monsieur, méchant
homme !)
    Le reître fut béant de se voir ainsi gourmandé

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