Le Lys Et La Pourpre
l’instant !
criai-je.
Et je lui lançai une des pantoufles que je venais d’enlever
pour mettre mes bottes. Mais il fut si leste qu’elle ne frappa que l’huis qu’il
venait de clore sur soi.
— Monsieur le Comte, dit Louison, vous êtes trop doux
avec ce béjaune. Il devient impertinent.
— Monsieur le Comte, me dit Monsieur de Peyrolles le
lendemain, trois sangliers et une futaille de vin ! Vous êtes trop doux
avec vos manants ! Ramentez-vous, de grâce, le proverbe :
« Oignez vilain, il vous poindra. Poignez vilain, il vous
oindra ! »
Je trouvai, en mon for, assez ébaudissant qu’un noble de
robe citât, en le faisant sien, un adage vieillot et féroce de notre noblesse
d’épée.
— Monsieur mon ami, dis-je, je trouve qu’en la
situation où nous sommes, eux et moi, je les poigne bien assez. Dois-je vous le
ramentevoir, ils me payent un cens annuel ; ils me donnent un lod quand
ils veulent vendre leurs biens ; ils me donnent, en outre, des jours de
corvée, une redevance pour le pressoir, une autre pour mon four, une autre pour
mon moulin et meshui pour mon moulin à teiller. En plus, cela va sans dire, du
bénéfice que je fais moi-même en vendant leur lin. Bref, ils ne laissent pas de
me garnir d’un bout de l’année à l’autre en bonnes et trébuchantes pécunes,
mais moi, que fais-je pour eux ? Je leur baille une futaille qui n’est pas
de mon meilleur vin et trois sangliers qui ne m’ont coûté que la poudre pour
les tuer. Il est vrai que je ne suis pas insouciant de leur misère et qu’il
m’arrive de les aider. N’est-ce pas naturel ? Ne sont-ce pas des
hommes ? Croyez-vous que je les aurais amenés à empierrer mes voies si
bien et si vite si je les avais traités inhumainement ?
— Touché ! s’écria Monsieur de Peyrolles qui,
s’étant mis dans la tête, à son âge, et avec sa bedondaine, d’apprendre
l’escrime avec un maître d’armes, trouvait du dernier galant d’en employer les
termes. Monsieur le Comte, poursuivit-il, pardonnez à un barbon radoteur
d’avoir l’air de vous critiquer, mais la vérité, c’est que je m’instruis
beaucoup à ouïr vos sages et pertinentes réponses.
Cela ressemblait fort à un petit compliment sucré pour la
bonne bouche mais, en fait, Monsieur de Peyrolles disait la vérité. Il ne me
contestait que pour s’instruire. Partagé entre sa bonté naturelle et le souci
de tenir son rang, il ne se sentait pas tout à fait à l’aise dans son rôle
seigneurial et ne cessait de se demander si c’était moi qu’il devait prendre
pour modèle, ou tel ou tel de nos voisins qui était beaucoup plus roide et rude
que moi avec ses manants.
Bien je me ramentois – et j’ai quelques raisons pour
cela ! – que cet entretien eut lieu le quinze septembre sur les dix
heures du matin en mon cabinet aux livres où j’avais amené Monsieur de
Peyrolles pour lui prêter l’ouvrage célèbre d’Olivier de Serres : Le
Théâtre de l’Agriculture.
— Monsieur mon ami, dis-je, ce livre, mon
grand-père, le baron de Mespech, l’a lu et vénéré. Mon père, le marquis de
Siorac, quand il acheta sa terre du Chêne Rogneux, le lut à son tour et
l’adora. Et moi-même enfin, quand j’acquis Orbieu, je m’y plongeai et le
trouvai si vivant et si savant que j’en fis ma seconde bible, ma bible agreste,
si je puis dire.
Mais, dit Monsieur de Peyrolles, en ouvrant de grands yeux,
j’ai ouï dire qu’Olivier de Serres était huguenot.
— Il l’était, dis-je avec un sourire, mais que cela
vous rassure : son agriculture n’est pas hérétique.
À ce moment, Monsieur de Saint-Clair me rejoignit et nous
invita à assister à l’exercice de tir de ses frondeurs et de ses arbalétriers.
— Monsieur le Comte, ajouta-t-il, vous plairait-il de
vous garnir d’un pistolet chargé ? J’ai le mien et nous pourrions…
— Eh quoi, Saint-Clair ! dis-je en riant, qu’est
cela ? M’appelez-vous sur le pré ?
— J’entends que nous pourrions tirer sur une de mes
cibles.
— Monsieur le Comte, dit Monsieur de Peyrolles, qui ne
voulut pas paraître se désintéresser de nos jeux guerriers, peux-je être de la
partie ? Me prêterez-vous un pistolet ?
— Assurément, Monsieur mon ami.
Le rustique enclos de tir que Saint-Clair avait aménagé
était établi dans une clairière de cinquante toises carrées [10] , à
l’orée de mon bois de Cornebouc. Il était séparé de la voie qui le
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