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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de si
impérieuse façon, et en allemand. Il ouvrit tout grand ses petits yeux et
dit :
    —  Aber Sie sprechen Deutsch, mein Herr !
    Et sentant comme il l’avait fait déjà le besoin de se
justifier, il cria :
    —  Ich bin kein böser Mensch !
Der alte hatte mich bedroht ! (Je ne suis pas un méchant
homme ! Le vieux m’avait menacé !)
    Je ne parvins jamais par la suite à me ramentevoir s’il
parvint à prononcer le mot «  bedroht » ou si c’est moi qui
reconstituai la phrase, la dernière qu’il prononça dans cette vallée de larmes.
Saint-Clair tira avec le pistolet de Peyrolles et le chef des reîtres, sans un
cri, vida les étriers, laissant échapper le pistolet chargé qu’il tenait dans
sa main gauche.
    Je me jetai alors à la tête du cheval, saisis ses rênes, le
fis cabrer et de toutes mes forces, bientôt aidées par celles de Saint-Clair,
j’entrepris de le faire reculer sur les chevaux des deux autres reîtres,
confiant dans cet instinct du cavalier de ne jamais tirer, s’il risque
d’atteindre une monture, celle-ci nous servant pour ainsi dire de bouclier. En
même temps, je hurlai à me déchirer les poumons dans la parladure
d’Orbieu : «  Tirez ! Arbalétriers !
Tirez ! »
    Même alors, mes yeux cherchant désespérément dans l’herbe le
pistolet chargé que le chef des reîtres avait laissé tomber dans sa chute, je
suis persuadé que mes manants seraient demeurés engourdis dans leur passivité
si, à cet instant, miraculeusement, me sembla-t-il, les cloches de l’église
d’Orbieu ne s’étaient mises à sonner un interminable tocsin. Les arbalétriers,
comme ils me le dirent plus tard, crurent qu’ils allaient être secourus par les
Suisses et cette pensée leur redonnant cœur, ils tirèrent (mais sans se
répartir les deux cibles) sur le reître le plus proche d’eux et assurément, à
cette distance, ce n’était pas un exploit de toucher ce dos beaucoup plus large
qu’une planche, mais enfin leurs carreaux s’y fichèrent tous les quatre avec
des sifflements si aigus que je les ouïs fort bien, malgré le tohu-vabohu des
cloches.
    Le malheureux, le sang lui coulant de la bouche, me parut
tomber de son cheval avec une lenteur surprenante. Mais quand il toucha terre
sur le ventre, j’aperçus avec un frisson les carreaux enfoncés dans son dos
comme de grandes épingles dans une pelote.
    À cette vue, le reître survivant fut comme saisi d’horreur
et, à mon sentiment, beaucoup plus épouvanté que si son camarade avait été tué
par balles. La situation était pourtant bien loin d’être désespérée pour lui,
puisqu’il avait deux pistolets chargés dans les mains et une vive et solide
monture entre ses jambes. Il eût pu, par exemple, tirer au jugé sur Saint-Clair
et sur moi et s’enfuir ensuite à brides avalées. Mais, privé de son chef et de
son camarade et comme mutilé par leur disparition, affolé, en outre, par le tocsin
qui paraissait annoncer une terrible vengeance, il s’abandonna à son destin et
au moment même où je trouvai dans l’herbe le pistolet de son chef, il lâcha les
siens et leva en l’air ses mains vides.
    J’ai quelque vergogne à confesser que dans le chaud du
moment et dans la fièvre quasi animale du combat, j’éprouvai alors le plus vif
désir de tuer cet homme désarmé pour me revancher de la mort de Monsieur de
Peyrolles et de l’humiliation que j’avais subie. Je parvins à vaincre cette
impulsion, mais non la honte de m’y être abandonné. On nous enseigne la
compassion, le pardon des injures, l’amour du prochain, mais ce ne sont là que
des sentiments qui demeurent à fleur d’âme, même parfois dans l’Église, qui ne
s’est pas montrée fort tendre au cours des siècles avec les hérétiques.
Survient un prédicament qui met nos vies, ou même nos intérêts, en danger et la
bête se réveille.
    Pendant qu’on liait le reître survivant, à mon avis bien
inutilement, je m’approchai de Monsieur de Peyrolles et m’agenouillai à ses côtés.
Il ouvrit tout soudain les yeux. Dieu merci, il n’était pas mort ! Il
n’était pas même très gravement atteint, la balle du reître lui ayant traversé
le creux de l’épaule sans toucher aucun os, comme nous l’assura le
barbier-chirurgien que je fis aussitôt quérir. Dès qu’il eut pansé la plaie de
Monsieur de Peyrolles, je m’attachai à panser sa vanité en lui disant, avec
toute la conviction que je pus mettre dans cet

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