Le Lys Et La Pourpre
éloge :
— Monsieur mon voisin, vous avez été fort vaillant.
Je m’assis dans l’herbe à son côté et ressentis alors un
épuisement extrême. C’est à peine si je parvenais à écouter une sorte de
disputation qui s’était élevée entre Saint-Clair et les arbalétriers. Mais
j’eusse pu me dispenser de faire cet effort, car au bout d’un moment, Saint-Clair,
venant à moi, s’assit à mes côtés et me dit ce qu’il en était. Ses traits
juvéniles me parurent creusés et comme vieillis par la fatigue.
— Monsieur le Comte, ils veulent leur part de la
picorée, dit-il avec un soupir.
— Quelle part ? dis-je.
— Les vêtements, les bottes et les pécunes des deux
morts.
— Peste ! Ils ne perdent pas de temps ! Mais,
Saint-Clair, vous avez tué le chef des reîtres. Celui-là est à vous.
— Je n’en veux rien, dit-il d’un air las. Cette picorée
me ragoûte peu. Je la leur laisse.
— Fort bien. Qu’ils la prennent donc, mais à condition
qu’ils les enterrent tous les deux.
— Ils veulent aussi le cheval de celui qu’ils ont
dépêché.
— Mais c’est un cheval beaucoup trop vif pour le
labour. Que veulent-ils en faire ?
— Le vendre au marché de Montfort et se partager la
pécune.
— Accordé, mais bien entendu, nous gardons la selle et
les harnais. Ils n’en ont pas l’usage. Est-ce tout ?
— Non, Monsieur le Comte.
— Que veulent-ils encore ? dis-je étonné.
— Pendre le prisonnier de leurs mains.
À cela je sourcillai et avec une colère qui me donna tout
soudain des forces, je criai :
— Saint-Clair, rebuffez roidement cette insolente
prétention ! Je suis le seigneur haut justicier de ce domaine ! C’est
à moi seul de décider du sort de cet homme !
— S’il était à moi, dit Monsieur de Peyrolles, je le
pendrais volontiers.
À cela je ne répondis ni mot ni miette et après avoir laissé
peser un silence assez long pour décourager toute nouvelle intervention, je me
tournai vers Saint-Clair à nouveau.
— Savez-vous qui a fait sonner le tocsin ?
— Oui, Monsieur le Comte, c’est Yvon.
— Yvon ?
— Vous vous ramentevez sans doute que nous l’avions
envoyé au village pour rameuter les absents.
— En effet.
— Quand il est revenu avec eux, il a ouï de loin les
cris d’orfraie des reîtres, risqué un œil par l’ouverture de la haie et
entendant tout soudain le péril où nous étions, il courut, les ailes aux
talons, jusqu’à l’église et, n’y trouvant ni Figulus ni Séraphin, sonna
lui-même le tocsin.
— Il a agi à merveille. Mais que n’a-t-il plutôt appelé
les Suisses ?
— Il ignorait où ils se trouvaient.
— Néanmoins, il le faudra récompenser. Son tocsin a
beaucoup déconcerté l’adversaire.
Au dîner que je pris seul, je mangeai du bout des dents,
l’estomac troublé, la tête vide. La dernière bouchée comme à contrecœur avalée,
je m’allai coucher sans me dévêtir, acceptant toutefois à mon côté sur le
baldaquin la présence de Louison, mais non son babil et ses questions :
— M’amie, dis-je d’une voix ferme, accoise-toi, de
grâce ! Je te ferai plus tard des récits épiques.
Et la serrant contre moi, je trouvai un réconfort tel et si
grand en la suavité de son corps que tout de gob je m’ensommeillai. Je dormis
deux heures d’affilée, me sentant à mon réveil quelque peu rebiscoulé et
cependant très troublé en ma cervelle, touchant la menace qui, à mon sentiment,
continuait de peser sur Orbieu.
J’allai voir le prisonnier dans cette cellule en sous-sol où
j’avais enclos jadis l’infâme Mougeot, l’incendiaire de mon bois de Cornebouc.
Ce n’était pas un lieu bien sinistre, sauf que l’unique fenêtre était garnie de
barreaux et donnait sur mon étang.
L’homme me dit s’appeler Hans Hetzel et sur la promesse que
je lui fis de ne le point pendre, s’il me disait tout, il parla d’abondance et
en français, étant né en Lorraine et ayant été au service d’un gentilhomme
apparenté aux Guise. Il devait avoir dépassé, mais de peu, la vingtième année,
car sa face portait encore une certaine naïveté alors même que ses traits
étaient rudes, et sa membrature musculeuse.
Ces trois reîtres n’étaient pas, comme bien je le pensais,
des isolés, mais des éclaireurs. Ils appartenaient à une bande puissante de
trente hommes et c’était d’elle dont je me préoccupais surtout. Hetzel me conta
que cette
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