Le Lys Et La Pourpre
désobliger ses frères en me nommant comme
eux, Louise-Marguerite m’appelait dextrement « mon petit cousin » en
imitation d’Henri IV qui avait le premier usé de cette appellation au bal
fameux de la duchesse de Guise en me présentant à Marie de Médicis. Et comment
l’eussent-ils pu là-dessus gourmander, couverte qu’elle était par une telle
autorité ? Là-dessus, le duc de Chevreuse ne tarda pas à suivre l’exemple
de Louise-Marguerite, mais Guise s’obstinait à m’appeler
« Monsieur ». Toute la différence entre les deux ducs était là. Comme
l’avait si bien remarqué leur mère, « Chevreuse a une certaine tendreté de
cœur, mais pas la moitié autant de cervelle qu’il faudrait. Et Guise a de la
tête, mais le cœur sec ».
— Peu me chaut ce qu’ils penseraient, dit Madame de
Guise en m’effleurant le cheveu de celle de ses mains que j’avais libérée, je
suis fort peu contente d’eux : Guise se laisse plumer au jeu par
Bassompierre…
— Et Chevreuse se laisse planter des cornes par Lord
Holland, dit Louise-Marguerite d’un ton acerbe.
— Que voulez-vous qu’il fasse ? dit Madame de
Guise. Qu’il appelle sur le pré l’envoyé du duc d’Angleterre et le tue, alors
que le mariage anglais vient à peine de se conclure, et Chevreuse au surplus
ayant été choisi par Louis pour épouser Henriette par procuration avant le
départ de notre princesse pour Londres ? Qui pis est, Lord Holland, comme
il fait toujours, est descendu à l’hôtel de Chevreuse. Voudriez-vous que Claude
dépêche son hôte à souper entre la poire et le fromage [13] ?
— Si j’avais une once de méchantise dans mon pauvre
petit corps, commença Louise-Marguerite…
— Ma fille, vous vous sous-estimez ! dit Madame de
Guise avec un sourire.
— Cela ne m’ennuierait pas que Claude étende Holland
tout raide sur le pré. Je l’avais déjà enveloppé dans mes filets et le ramenais
doucement à mon bord quand mon adorable belle-sœur lui a jeté le grappin dessus
et, déchirant mes filets du même coup, l’a ramené à sa barque, où elle l’a
cloué au mât, et aussi longtemps qu’elle voudra.
— Vous demeurez néanmoins la grandissime amie de
Chevreuse, dit Madame de Guise.
— Il le faut bien. J’ai perdu Holland. Vais-je perdre
aussi l’amitié de la reine sur laquelle règne cette ensorceleuse ?
— Je n’en crois pas mes oreilles. Deux poulettes de
votre lustre se disputer ce coq anglais ! Qu’a-t-il de si attirant ?
— Mais il est beau.
— Babillebahou, ma fille ! C’est une beauté fade
et tirant sur l’efféminé ! Tous ces jeunes Lords que le roi d’Angleterre
nous envoie sont de cette farine et ne me ragoûtent guère. Ils ne sont ni chair
franche ni honnête poisson. On dirait bien qu’il fallait avoir ce genre-là pour
réussir à la Cour de Jacques I er …
— Madame, dit Louise-Marguerite, avec ce petit rire
musical qui lui avait valu tant d’éloges et dont elle abusait, nul n’ignore, en
la chrétienté, sauf vous peut-être, que Jacques I er était de
l’homme comme un bourdon. Mais rien ne donne à penser que Charles I er soit aussi de ce côté-là et qu’Henriette-Marie aura non des rivales, mais des
rivaux…
— Je ne suis pas sûre, poursuivit Madame de Guise, que
ce Bouquingan que nous avons vu il y a deux ans incognito avec le prince de
Galles, lors du grand ballet donné par la reine-mère, ne soit pas un poisson
des mêmes eaux. Croyez-vous qu’issu de la petite noblesse il eût pu devenir le
favori de Jacques I er innocemment ? Et qui plus est, duc
et pair ? Et ministre ? Et d’autant qu’on le dit sans talent, sans
étude, sans vertu, sans autre avantage que sa seule beauté. Et comment, dès la
minute où Jacques I er a rendu sa vilaine âme à Dieu, ce
Bouquingan a-t-il pu devenir en un battement de cils le favori et le ministre
de Charles I er , si Charles I er n’était point
fait de la même étrange étoffe que son père ?
— Je le décrois, dit Louise-Marguerite avec fougue.
Bouquingan est l’homme le plus beau du monde et il est plus couvert de femmes
qu’un chien de puces.
— Cela n’empêche rien, dit Madame de Guise. Vendôme
n’a-t-il pas eu femme, enfants et même maîtresses, tout en étant ce qu’il
est ? Pierre-Emmanuel, qu’en pensez-vous ?
— Madame, je n’ai aucune opinion sur les mœurs de Lord
Buckingham.
— Qui est-ce donc celui-là que vous
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