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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sourire, je suis tout
chaffourré de chagrin d’avoir perdu par mes silences l’amour de mon
émerveillable sœur. Et en ce désespoir, prenant congé de vous, et de ma bonne
marraine, je m’en vais de ce pas me jeter dans la rivière de Seine.
    — Faites mieux ! Retrouvez-y votre carpe ! Et
noyez-vous avec elle !
    — Ma fille ! cria Madame de Guise, qu’est
cela ?
    Mais là-dessus, Louise-Marguerite, m’ayant envisagé de ses
yeux scintillants où dansaient mille diablotins, se mit à rire à gueule bec.
    — Mon petit cousin, vous êtes fin, mais je suis plus
fine que vous ! J’ai la réponse que je cherchais : le Lord Bouquingan
sera céans en mai.
    — Et où prenez-vous cela ? dit Madame de Guise en
ouvrant de grands yeux.
    — J’ai fait parler les silences de mon petit cousin.
    — Comment cela ?
    — Madame ma mère, est-ce un hasard, dites-moi, si la
carpe a commencé à s’accoiser, quand j’ai quis d’elle l’opinion du cardinal sur
la venue de Bouquingan ?
    — Et que concluez-vous de ce silence ?
    — Que l’opinion du cardinal était décisive et que mon
petit cousin la connaissait, mais n’a pas voulu la confirmer.
    — Et pourquoi, ma fille ?
    — Pour que je ne puisse pas la communiquer à la
Chevrette [15] qui, apprenant la
bonne nouvelle de la venue de Bouquingan, allait fourbir plus que jamais ses
armes pour que son projet aboutît.
    Je fus si indigné en mon for que la princesse pût parler
avec si peu de honte de ce dévergondage qui visait à salir l’honneur du roi que
je décidai de sortir de ma réserve et de lui dire, tirant tout droit de
l’épaule, ce que je pensais de sa conduite.
    — Madame, dis-je gravement, permettez-moi de vous dire
que vous avez mille fois tort de prêter la main à cette stupide et dangereuse
intrigue. Elle est stupide pour ce que la reine n’étant jamais seule, ni de
jour ni de nuit, ne peut en aucune façon être infidèle. Il se peut qu’elle y
rêve, mais sans pouvoir ni vouloir aller jusqu’au bout de son rêve. Quant à
Bouquingan, ayant conquis l’amour de deux rois anglais, il se tient pour
irrésistible, et pense ajouter à sa couronne en cocuant le roi de France. C’est
un fol et un fat. Il est tout à fait hors vraisemblance qu’il parvienne jamais
à ses fins. Ce qu’il peut faire de pis est d’humilier Louis et de gâter sa
bonne entente avec Anne si, en public, elle trahit derechef quelque inclination
pour lui. Étant anglais, on ne pourra sévir contre lui, ni punir Anne,
puisqu’elle est notre reine et puisqu’on attend d’elle un dauphin. La foudre
royale tombera sur l’entourage, c’est-à-dire sur la Chevrette, sur d’autres
aussi, bien sûr, et sur vous-même, si vous continuez à prêter les mains à ces
brouilleries.
    — Mon frère Guise me protégera, dit la princesse de
Conti avec hauteur.
    — Passé un point, il ne le pourra plus, sauf à encourir
lui-même une irrémédiable disgrâce. Vous n’avez, ma sœur, aucune idée du
caractère véritable du roi. Parce que la reine-mère a répété pendant les sept
ans de sa régence qu’il était inapte à régner, vous le croyez sot. En fait, il
a le sens le plus droit et le jugement le plus sûr. Parce qu’il parle peu, vous
le croyez mol et vacillant. Or, il a une volonté si forte que rien ne la peut
plier. En outre, il ressent profondément les écornes qu’on lui fait et comme il
n’a pas, comme son père, la tripe indulgente, il ne les pardonne jamais.
Méfiez-vous de ses ressentiments : ils seront implacables.
    — Je le décrois, dit la princesse de Conti. Louis fait
tout ce que veut le cardinal. Il est dans ses mains comme un toton dans les
mains d’un enfant.
    — Où prenez-vous cela ? C’est archifaux !
Dans quelle cervelle niaise a jamais germé cette étrange idée ? Le
cardinal à cent yeux comme Argus, il a cent oreilles, et en plus de grands
talents et une cervelle assez puissante et méthodique pour tirer un miel de
sagesse de tous les faits qu’il butine par ses innumérables antennes. Mais au
roi seul appartiennent le choix et la décision. Et jusqu’au détail, c’est Sa
Majesté qui tranche. Richelieu n’oserait même pas nommer un évêque sans son
assentiment. Et si le roi vous serre un jour en geôle pour vous punir de vos
intrigues, soyez bien assurée que cette décision sera la sienne et qu’elle sera
irrévocable.
    — Monsieur, avez-vous fini ce discours ? dit la
princesse de

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