Le Lys Et La Pourpre
avec un seul « p » ! Désormais,
je ne l’écrirai plus qu’ainsi.
— Toutefois, mon cher La Surie, dis-je avec un sourire,
je ne voudrais pas vous laisser croire que le roi et le cardinal ne
communiquent que par écrit. Quand le roi est au Louvre, Richelieu le voit tous
les jours.
— Et où le voit-il ?
— Cela change. Parfois dans la chambre de Sa Majesté,
parfois dans son cabinet aux livres, parfois même dans la chambre du cardinal,
quand celui-ci souffre de ses terribles migraines qui le jettent sur son lit,
la tête enveloppée de linges mouillés.
— Mais comment savez-vous cela ? dit La Surie.
— Mais voyons, ignorez-vous que j’appartiens depuis
l’enfance à la suite du roi et que je ne le quitte guère, sauf quand je suis à
Orbieu.
— Et vous êtes là, même dans ses entretiens avec
Richelieu ?
— Le roi le veut ainsi et il ne déplaît pas au cardinal
qu’un témoin de bonne foi, et qui ne lui veut que du bien, assiste à ce bec à
bec.
— Monsieur le Comte, dit La Surie qui parut hésiter à
me donner maintenant du « mon neveu », n’est-ce pas pour vous une
grandissime responsabilité que de détenir tous ces secrets ?
— Mais pas du tout, dis-je avec un sourire. Mon esprit
est ainsi fait que dans la seconde même où je les ois, je les oublie…
Toutefois, ajoutai-je en voyant la plus vive déception se peindre sur l’honnête
face de La Surie, une fois la décision prise par le roi, l’exécution achevée et
l’événement passé, il se peut que parfois je me ramentoive un détail de peu de
conséquence, lequel montre bien l’émerveillable adresse du cardinal à
convaincre Sa Majesté, quand il s’agit de prendre une décision particulièrement
difficile. Voulez-vous en connaître un exemple, sous le sceau du secret, bien
sûr ?
— J’en serais fort aise, dit La Surie d’une voix
trémulante.
— Eh bien, vous vous rappelez sans doute l’histoire de
la Valteline, passage entre l’Italie et l’Empire allemand. Les Habsbourg
d’Espagne s’étaient par force emparés de ce passage, avaient élevé des forts
pour le défendre et subissant de la part du roi de France une forte pression
pour rendre ce passage à nos alliés les Grisons suisses, les Espagnols prirent
un parti machiavélique…
— Je le connais. Ils confièrent en dépôt ces forts au
pape qui envoya ses propres soldats pour les garder.
— Et maintenant, mon cher Miroul, voici ce que vous ne
savez pas. Louis hésitait : lui, le roi très chrétien, envoyer ses armées
reprendre les forts aux soldats pontificaux et pour les rendre à qui ? aux
Grisons protestants !… Et il en discuta longuement avec Richelieu, lequel
fit un exposé historique très complet et très précis sur l’affaire de la
Valteline avec cette clarté, cette méthode et cette grâce de langage qui
n’appartiennent qu’à lui. Cependant, le roi hésitait encore. C’est que
l’affaire était d’importance !… Le roi très chrétien attaquer le
pape ! Et c’est alors que Richelieu trouva un argument qui n’était peut-être
pas décisif en soi, mais qui le fut pour le roi : « Sire, dit-il, si
par la cession du marquisat de Saluces, la France a tant perdu de réputation et
d’estime en Italie… »
— Où se trouve, mon neveu, le marquisat de
Saluces ?
— Dans le Piémont, au débouché des Alpes. C’est une
« porte » ou un « passage » comme la Valteline. Il
permettait aux Français une entrée facile en Italie. Ce marquisat fut annexé
par notre roi Henri II, mais par malheur, il fut repris à son fils, Henri III,
à la faveur des troubles de la Sainte Ligue. Dois-je reprendre la citation de
Richelieu ?
— Je vous en prie.
— Je la reprends depuis le début. « Sire, si par
la cession du marquisat de Saluces, la France a tant perdu de réputation et
d’estime en ce pays, quel préjudice recevrait-elle encore, si elle méprisait ce
qui lui reste d’union avec l’Italie ! Ce serait la forcer à s’assujettir à
la Maison d’Autriche et la livrer entre les griffes de l’Aigle au lieu qu’elle
a toujours respiré ci-devant à l’ombre des fleurs de lys. »
— Quelle émerveillable phrase ! s’écria La Surie.
Quelle beauté dans les termes ! Et quel souffle poétique !
— En effet ! Et comment Louis, qui a de l’honneur,
aurait-il pu résister à une telle envolée ? Pourtant…
— Pourtant ?
— Cette habile envolée, mon cher
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