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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Miroul, pèche par
omission… En 1601 – l’année même de la naissance de Louis –,
Henri IV, alors tout-puissant, aurait pu réclamer et obtenir sans coup
férir le marquisat de Saluces… Il préféra exiger en compensation la Bresse, le
Bugey et le pays de Gex… Et je ne sache pas que ce fut un si mauvais barguin…
    Il y eut un silence pendant lequel La Surie me considéra de
ses yeux vairons dont l’un, non seulement par sa couleur, mais aussi par son
expression, paraissait toujours contredire l’autre. Tant est que je crus voir
dans cette contradiction une sorte de malaise.
    — Allons ! Allons ! mon ami ! dis-je,
croyez-vous que Richelieu ait eu tort de supprimer une partie de la vérité au
bénéfice de cette autre partie, vraie elle aussi, et infiniment plus pressante,
qui commandait une intervention dans la Valteline pour que l’Aigle à deux
têtes, même sous l’égide du pape, n’y pût demeurer plus longtemps ?
    — Monsieur le Comte, dit La Surie, vous avez
raison ! Et je vous sais mille fois gré d’avoir charmé mon intempérie par
ce discours dont je me ramentevrai longtemps « la substantifique
moelle », comme dit Montaigne.
    Je noulus gâter la joie de mon Miroul en lui faisant
observer que sa citation était non de Montaigne, mais de Rabelais, et je pris
congé de lui, car il se faisait tard et ne désirant pas retourner si
tardivement en mon appartement du Louvre, les rues de Paris la nuit n’étant pas
sûres, même en carrosse, j’avais demandé à Franz de commander à une chambrière
de me faire un lit dans la chambre de mes enfances.
    — Monsieur le Comte, dit-il, un mot encore avant votre
départir. Plaise à vous de me réciter derechef cette superbe phrase du cardinal
afin que je la jette, pour la conserver à jamais, dans la gibecière de ma
mémoire.
    — Eh bien la voici : « Ne pas intervenir dans
la Valteline (ceci, mon cher Miroul, pour préciser ce qui précède) serait
forcer l’Italie à s’assujettir à la Maison d’Autriche et la livrer entre les
griffes de l’Aigle, au lieu qu’elle a toujours respiré ci-devant à l’ombre des
fleurs de lys… »
     
    *
    * *
     
    Après le souper qui me fut servi seul – La Surie
gardant la chambre et devant se contenter de ses potages, de ses tisanes et
d’une seconde pincée de la poudre des jésuites, pesée en de fines
balances – les jésuites la vendant si cher –, je gagnai ma chambre et
me jetai tout habillé sur mon lit, ma journée ayant été si longue. Toutefois,
je ne m’ensommeillai point incontinent, tant les souvenirs de mes enfances
m’assaillirent aussitôt, à savoir de Geneviève de Saint-Hubert de qui, à cinq
ans, j’avais baisé le beau bras nu, tandis qu’elle jouait du clavecin ; de
Frédérique avec qui j’avais partagé le même sein chaleureux et ensuite la même
couche jusqu’à ma puberté, date pour moi plus funeste que plaisante, car mon père,
prudemment, avait alors désuni nos sommeils et interrompu nos petits jeux
nocturnes, lesquels, quoique tendres, n’étaient point toujours aussi fraternels
que mon confesseur l’eût désiré ; et pour finir, je pensais à ma Toinon
avec qui j’étais entré dans mon âge d’homme avec une fierté d’homme et une
infinie délectation pour ce corps féminin « qui tant est tendre, poli,
suave et précieux ». J’appris ce vers de François Villon à douze ans et
depuis, il n’a jamais cessé de chanter dans ma mémoire.
    D’avoir pensé à ma Toinon m’assombrit et j’éprouvai là, une
fois de plus, que tout retour sur le passé, tout heureux qu’il ait été,
tournait toujours à la mélancolie. Et je fus d’autant soulagé quand on toqua
doucement à ma porte. Sur l’entrant que je baillai, apparut Jeannette qui,
ayant fermé l’huis sur soi, me dit d’une voix innocente :
    — Monsieur le Comte, je viens pour vous déshabiller.
    — Et comment savais-tu que je ne l’étais point ?
dis-je en souriant.
    — Parce que vous aimez rêver un petit sur votre lit
avant qu’on vous retire votre vêture.
    — Et par qui sais-tu cela ?
    — Mais par Louison.
    — Donc ce soir tu te proposes d’usurper l’emploi.
    — Oh ! Monsieur le Comte, je n’usurpe rien :
Louison est à Orbieu et de force forcée, défaillante céans en ses devoirs.
    — Qui t’a appris à parler si bien, dis-moi ?
    — Monsieur de Saint-Clair, dit-elle en rougissant,
cette rougeur étant accompagnée, à son

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