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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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excessive, doublée d’une impatience quasi monstrueuse. Mais
ces maux n’entament en rien sa foi en sa mission et, par voie de conséquence,
sa force de travail. Et comme ce royaume n’a pas d’archives, le cardinal écrit
partout : aux ministres, aux ambassadeurs, aux gouverneurs de province
pour s’informer de tout.
    — Qu’est cela ? dit La Surie, en ouvrant de grands
yeux. Ce royaume n’a pas d’archives ?
    — Particulièrement en politique extérieure. Mais ne
vous l’ai-je pas déjà dit ?
    — Et d’où cela vient-il ?
    — Je ne sais. Peut-être d’Henri IV qui tenait
Conseil n’importe où et souvent tout en marchant de long en large, dans sa
chambre ou dans les jardins et les cours du Louvre, ou à la guerre, sous sa
tente. Tant est que les ministres – sauf Sully qui tenait à merveille les
comptes de l’État – avaient pris l’habitude de ne jamais rien écrire. Le
cardinal, lui, écrit tout, et les faits, et l’analyse qu’il déduit des faits,
et les solutions qu’il propose.
    — Et pour qui écrit-il cela ?
    — Mais pour le roi.
    — Même quand le roi se trouve au Louvre ?
    — Il lui fait un rapport oral dans ce cas. Mais il en
garde prudemment une trace écrite.
    — Et pourquoi ?
    — Pour ne pas être un jour accusé par le roi d’avoir pris
une décision à son insu.
    — Et quand le roi est en voyage, soit à la guerre, soit
à la chasse ?
    — Richelieu lui adresse tous les jours et parfois deux
fois par jour un rapport minutieux sur les questions qui se posent et les
décisions qu’il faut prendre.
    — Et le roi le lit ?
    — Aussitôt, et aussi minutieusement qu’il a été rédigé.
    — Ah ! dit La Surie. Que cela me touche et me
plaît ! Jusqu’ici je m’apensais que Louis consacrait trop de temps à la
chasse et pas assez aux Affaires.
    — C’était vrai, Miroul, mais ce ne l’est plus.
Richelieu a changé tout cela. N’aurait-il fait que d’apprendre à Louis à
s’appliquer davantage que déjà il aurait rendu au royaume un grandissime
service.
    — Mais n’est-ce pas pour Louis une corvissime
corvée ?
    — Pas du tout : il est aux anges. Il a le
sentiment, enfin, de gouverner, sans qu’on ne lui cache rien, sans que rien ne
lui échappe. Dès que le chevaucheur lui remet le paquet contenant le rapport de
Richelieu, son visage change. Il s’assied à une table, lit ledit rapport sans sauter
une ligne, le reprend ensuite page par page, notant en marge ses remarques et,
pour finir, écrit en quelques mots brefs ses décisions.
    — Quoi ? Il écrit ? Il ne dicte pas ?
    — Non, il écrit toujours. Sans doute pour demeurer
« secrétissime », mot forgé par le cardinal. Et il joint à son envoi,
car il renvoie le paquet le jour même ou le lendemain, une lettre à Richelieu
dans laquelle il détaille parfois ses décisions.
    — Il écrit ! s’écria La Surie. Le roi lui-même
écrit ! Rex ipse [22] , répéta-t-il en latin, comme pour
donner plus de force à son admiration. Mais, dites-moi, je vous prie, les yeux
lui sortant quasiment des orbites du fait de sa curiosité dévorante, dites-moi,
je vous prie, mon neveu, comment est son écriture ? L’avez-vous vue ?
Comment est-elle ?
    — Oui, je l’ai vue plus d’une fois. Elle est haute,
lente, appliquée.
    — Élégante ?
    — Très élégante. Comme vous savez, Louis dessine fort
bien.
    — Et son orthographe ?
    — Ah nous y voilà ! dis-je en riant, sachant,
comme tout un chacun en notre hôtel de la rue du Champ Fleuri, que sur ce point
La Surie pouvait en remontrer à un docteur en Sorbonne, et que c’était là, avec
le latin, son triomphe et sa gloire. Eh bien, je dirais, mon cher Miroul, que
l’orthographe de Louis est bien meilleure que celle de ma bonne marraine, mais
bien moins bonne que la vôtre…
    — Par exemple ? dit avidement La Surie avec un
petit brillement de son œil bleu, mais aussitôt, il baissa les paupières et
prit un air doux et modeste.
    — Par exemple, Louis ne redouble pas les consonnes dans
les mots où Vaugelas l’estime nécessaire. Il écrit « appeler » avec
un seul « p ».
    — C’est péché véniel, dit La Surie qui ne l’aurait pas
trouvé véniel, s’il l’avait découvert dans une de mes lettres. Après tout
ajouta-t-il avec mansuétude, on ne prononce pas les deux « p » dans
« rappeler ». N’est-ce pas attendrissant ? reprit-il après un
silence. « Rappeler »

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