Le Lys Et La Pourpre
insu, ou non, d’une ondulation de tout
son corps.
Elle ajouta :
— Monsieur de Saint-Clair a fait mieux. Il a versé
pécunes à Monsieur Figulus pour qu’il m’apprenne à lire et à écrire.
— C’est un bon maître.
— Oui, dit-elle, ce fut le meilleur des maîtres et je
le regretterai toujours. Monsieur le Comte, reprit-elle, sa gorge serrée ne
laissant plus passer qu’un filet de voix, peux-je maintenant vous
déshabiller ?
— Oui-da.
Ce qu’elle fit, les yeux baissés, fort prestement et sans
dire mot ni miette. Je m’accoisai moi aussi, sentant bien ce que cela voulait
dire pour la garcelette d’avoir perdu à jamais Monsieur de Saint-Clair. Et je
crus, sa face étant si fermée et ses yeux si baissés, qu’une fois que je serais
dans mes draps, elle allait souffler ma bougie et se retirer en me souhaitant
la bonne nuit. Mais elle n’en fit rien, se tenant raide, bouche cousue, au
chevet de mon lit, sans bouger plus qu’une souche.
— Eh bien, Jeannette, dis-je à la parfin, as-tu encore
quelque petite chose à me dire ?
— Oui-da, Monsieur le Comte, mais ce n’est pas une
petite chose.
— Je t’ois.
— Monsieur le Marquis, votre père, vient de perdre une de
ses chambrières, laquelle a marié un artisan cordonnier de Paris. Quoi oyant,
je me suis permis de lui dire que s’il me veut, j’entrerais volontiers à son
service en cette maison que voilà.
— Tête bleue, Jeannette ! Et tu quitterais
Orbieu ?
— Orbieu, certes, mais point du tout vous-même,
Monsieur le Comte. J’oserais même dire que je vous verrai plus souvent en Paris
que je ne vous voyais à Orbieu.
— C’est vrai, mais qu’a répondu mon père à ta
requête ?
— Qu’il y serait consentant, si vous-même vous l’étiez.
— Voire ! Il se pourrait que je le sois, si tu me
découvres tes raisons…
— Oh, bien simples elles sont, Monsieur le Comte !
Il se trouve qu’à Orbieu, je croise un peu trop souvent sur mon chemin Monsieur
de Saint-Clair et qu’à chaque fois cela me brûle le cœur…
— C’est une raison, mais il ne se peut qu’il n’y en ait
d’autres. Comment t’entends-tu avec Louison ?
— Plutôt bien.
— Plutôt bien ou plutôt mal ? Parle à la franche
marguerite !
— Monsieur le Comte, cela va couci-couça, pourvu que je
lui obéisse en tout.
— Et cela te coûte ?
— Monsieur le Comte, qu’arrive-t-il à une jument que
l’on bride trop ? Elle ronge son frein.
— Cela fait deux raisons, toutes deux bien naturelles,
mais si j’en crois ce que je sais des garcelettes, il doit bien se trouver une
troisième anguille sous cette roche-là. Montre-la-moi !
— Eh bien, il y a aussi, Monsieur le Comte, que
j’aimerais mieux vivre en Paris qu’à Orbieu.
— Et cette grande Paris ne t’effraye pas avec sa
puanteur, ses embarras de rues et ses mauvais garçons ?
— Point du tout.
— Étrange sentiment chez une native du plat pays !
Allons, allons, Jeannette, cette anguille-là en cache une autre :
montre-moi la seconde.
— Monsieur le Comte, puisqu’il faut tout vous dire, si
je demeure à Orbieu, qui marierai-je ? Un manant de chaumine, comme mon
père, borné et brutal, de qui j’ai reçu en mes enfances plus de battures et
frappements que de croûtons. Point ne veux de mari de cette espèce-là !
— Mais se peut qu’un riche laboureur se plaise à toi.
— Même ainsi, il ne voudra pas de moi en mariage.
— Que dis-tu là, Jeannette, jolie garce que tu es,
instruite et laborieuse ?
— Tout du même ; il ne voudra pas d’une garce dont
tout le village sait qu’elle n’est point pucelle.
— Et en Paris ?
— Personne ne le saura, sauf mon mari. Et puis en
Paris, on n’est point si chatouilleux sur ce chapitre-là.
— Comment sais-tu cela ?
— Votre Toinon n’a-t-elle pas marié un boulanger ?
— Tête bleue ! Qui t’a parlé de « ma »
Toinon ?
— Pissebœuf.
— Qui eût dit que Pissebœuf fût si clabaudeur ?
— Il ne l’est pas plus qu’un autre. Mais Monsieur le
Comte sait bien que les serviteurs, quand ils sont entre eux, ne parlent que
des maîtres…
— Et pas toujours en bien ! dis-je en riant. Eh
bien, Jeannette, il est temps que « mon sommeil me dorme », comme
disait Henri IV : je vais donc m’ensommeiller sur tes raisons et au
matin, quand tu viendras ouvrir mes rideaux, je te dirai ce que j’ai décidé.
Elle me fit là-dessus
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