Le Lys Et La Pourpre
nos
manants, lesquels sont davantage tondus, tant est que d’aucuns dans le Quercy
se sont révoltés, les armes à la main, et il a fallu les troupes du sénéchal de
Thémines pour venir à bout de ces « croquants », comme on les appela
alors. Et il a fallu aussi une autre armée pour combattre les huguenots qui,
profitant que Louis était occupé dans la Valteline, sont une fois de plus
entrés en rébellion.
— Il me semble, Monsieur, que vous ayez moins de
sympathie pour les protestants que votre père, le marquis de Siorac.
— Mon père, Madame, a toujours été, comme meshui le
maréchal de Lesdiguières, un réformé fidèle à son roi. Et quant à moi, qui suis
catholique, je consens que les huguenots aient la liberté de conscience et du
culte, mais non qu’ils prennent des villes à notre souverain.
— Mais pourquoi nos bons huguenots agissent-ils
ainsi ?
— Les petits, parce que les grands leur font croire à
un retour des persécutions, et les grands par ambition ou cupidité. Le duc de
Rohan en est un bon exemple. Il veut qu’on lui verse les cent cinquante mille
écus qu’on lui a promis pour faire la paix à Montpellier.
— Eh quoi ? A-t-on failli à cette promesse ?
— Le roi n’aime pas qu’un rebelle lui fasse payer sa
rébellion.
— Dès lors, il ne fallait pas promettre !
— Madame, les Français s’entre-tuaient sous les murs de
Montpellier. On a pensé qu’il fallait tout faire, même une promesse qu’on
voulait sans effet, pour que cesse de couler le sang.
— Et Monsieur de Soubise, que veut-il ?
— Étant le frère cadet du duc de Rohan, il n’a pas de
titre et il désire que le roi lui baille, en échange de sa soumission, un
duché-pairie.
— Et croyez-vous que ce barguin succède [23] ?
— Je le décrois. Soubise se révolte meshui pour la
troisième fois et c’est quand même beaucoup.
— Que dit le cardinal à ce sujet ?
— Madame, le voulez-vous écouter par ma voix ?
— Textuellement ?
— Non, sauf la dernière phrase. Parlant de la deuxième
révolte de Soubise, celle qui précéda celle-ci, et lui permit de prendre par
surprise Les Sables d’Olonne, Richelieu montre le roi lui courant sus avec une
armée, et il dit : « Voyant le roi fondre sur lui, Soubise se retira
à La Rochelle, comme les oiseaux craintifs se cachent dans les creux des
rochers quand l’aigle les poursuit. »
— C’est une parlante image !
— C’est aussi, Madame, une flatterie à l’égard de
Louis, puisque le cardinal le compare à un aigle. Et enfin, plus subtilement,
Richelieu donne au roi un implicite conseil de ne pas pardonner une troisième
fois à Soubise, un aigle ne faisant pas de quartier.
— Et cette troisième fois, que fit cet agité ?
— Au début de 1625, il s’empara de l’île de Ré et de
Fort Louis. Richelieu persuada le roi de dépêcher Toiras avec des troupes pour
reprendre ses territoires. Richelieu faisait ainsi d’une pierre deux
coups : il tâchait de tuer dans l’œuf une nouvelle révolte des huguenots
et, en même temps, il éloignait Toiras du roi.
— Qui était ce Toiras ?
— Un favori du roi.
— Un nouveau favori après Luynes ?
— Madame, quatre favoris se succédèrent jusqu’à la fin
du règne. Je vous les énumère, c’est plus simple : Toiras, Baradat,
Saint-Simon et Cinq-Mars.
— Monsieur, qu’est-ce que cela veut dire ?
— Que Louis ne se pouvait passer d’une amitié
masculine.
— Monsieur, j’ai vergogne à vous poser la question
suivante…
— Ne la posez pas, Madame : j’y réponds et sans
l’ombre d’un doute. Ces jeunes gens étaient des amis, non des mignons.
— Le fait est-il constant ?
— Oui, Madame. C’est la pure vérité, bien qu’elle ne
soit pas si simple. Si l’un des confesseurs du roi avait eu l’audace de dire à
son royal pénitent qu’il sentait dans l’ardeur de ces amitiés masculines je ne
sais quel relent de bougrerie, nul n’eût été plus indigné que Louis, ni surtout
plus incrédule. Du fait que ses mœurs demeuraient chastes, elles voilaient, à
ses propres yeux, l’ambiguïté de ses penchants.
— N’était-il pas tentant, pour le favori personnel, de
tâcher de supplanter le favori politique ?
— L’aspiration était là, sans doute, mais non la force
et le talent. De ces quatre coquardeaux [24] que j’ai énumérés, Richelieu eût pu
dire ce qu’il a dit d’un d’entre eux :
Weitere Kostenlose Bücher