Le Lys Et La Pourpre
« Jeune homme de nul mérite,
il est venu en une nuit comme un potiron. » Toutefois, le cardinal
surveillait ces béjaunes de fort près et bien fit-il, car le dernier d’entre
eux, Cinq-Mars, entra très avant dans les chemins de la trahison. Mais revenons
à la troisième rébellion de Soubise. Il s’était, par surprise, saisi de l’île
de Ré mais, pressé par Toiras et aussi à la prière des Rochelais qui ne
voulaient pas encore prendre parti, il quitta l’île et avec douze navires, il
alla se saisir de Fort Louis et de tous les vaisseaux du roi qui se trouvaient
là, dont le plus beau, La Vierge, était artillé de quatre-vingts canons…
Le duc de Vendôme, gouverneur de Bretagne, alerté par le roi, le vint déloger
de la ville mais non du port, où il laissa Soubise tranquillement calfater et
équiper les navires qu’il avait pris au roi, sans qu’il lui tirât dessus la
moindre mousquetade. Quand il fut prêt, Soubise, avec ses douze navires, et les
six vaisseaux royaux, prit le large et, dans les ports avoisinants, poursuivit
ses captures.
— Et pourquoi le duc de Vendôme agit-il si mollement
avec Soubise ? Appartenait-il lui aussi à la religion réformée ?
— Pas du tout. Mais c’était un rebelle-né. Il s’était
déjà révolté contre Louis et n’attendait que le moment le plus propice pour se
dresser derechef contre lui.
— Que cherchait-il à acquérir ?
— Madame, vous avez bien saisi la mécanique d’esprit
des Grands ! S’agrandir et s’agrandir toujours aux dépens de la couronne
en domaines, en villes ou en pécunes. Toutefois, j’aimerais ajouter ceci. Quand
j’ai dit que Vendôme était un rebelle-né, j’entends que sa naissance avait
réellement à voir avec sa rebelle humeur. Il était le fils légitimé
d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées et naquit sept ans avant le roi. Tant
est que se considérant comme son aîné, il voulait se convaincre que le trône
lui devait revenir, ou à tout le moins la Bretagne, non en qualité de
gouverneur, mais en toute souveraineté et indépendance. Nous retrouverons plus
loin ce duc turbulent.
— Turbulent ! Monsieur, il me semble que les ducs
l’étaient tous !
— Presque tous, en effet, et ceux qui demeuraient
fidèles ne l’étaient que par prudence, calcul ou temporisation. La nécessité
pour le roi « d’abaisser les Grands » n’est pas dans ce pays une
nouveauté politique. Pas plus, de reste, que l’abaissement de l’Aigle à deux
têtes, parce qu’il aspire à établir en Europe une domination universelle. Dans
ce prédicament, Monsieur, n’avons-nous pas d’alliés ?
— Si, Madame, mais pour l’instant du moins, loin de
nous pouvoir apporter une aide, c’est de nous qu’ils l’attendent. En Italie, la
Savoie et Venise avec qui nous avons formé une ligue seraient bien désolées si
nos troupes quittaient la Valteline, car elles resteraient seules en un bec à
bec redoutable avec l’Espagne. L’Angleterre qui, au siècle précédent, a
certainement sauvé et elle-même et l’Europe en détruisant l’invincible
Armada , l’Angleterre, dis-je, est une puissance repliée sur son île :
elle n’aime pas aventurer ses soldats sur le continent. Et depuis le mariage de
Charles I er avec Henriette-Marie, elle voudrait que la France
l’aide à reconquérir le Palatinat que la Bavière a ravie au gendre de Charles.
— Frédéric V ? Le cousin de Madame de
Lichtenberg ? Et qu’est devenue, Comte, cette belle veuve ? La seule
haute dame qui ait embelli votre vie ?
— Tous ses biens dans le Palatinat ayant été saisis,
elle s’est réfugiée en Hollande et y vit maigrement – un peu mieux depuis
que je lui ai acheté son hôtel de la rue des Bourbons. Madame, puis-je revenir
à nos moutons ?
— Vous n’aimez guère, ce me semble, parler de Madame de
Lichtenberg ?
— Est-ce ma faute si, m’ayant de prime enchanté par sa
beauté, elle m’a ensuite désenchanté par son humeur escalabreuse ? Mais,
excusez-moi, je n’aimerais pas parler d’elle davantage.
— Comte, votre humble servante revient humblement à nos
humbles moutons. Donc, l’Angleterre nous demande notre aide pour reprendre le
Palatinat aux Bavarois. L’aidons-nous ?
— Pas autant qu’elle le voudrait. Quant à la Hollande,
notre alliée de longue date, laquelle nous avons, de reste, garnie en pécunes,
dès que le cardinal est entré au Conseil, elle soutient une guerre
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