Le Lys Et La Pourpre
doivent
convaincre, c’est le style qui persuade.
— Et le roi est persuadé ?
— Et aussi convaincu par les raisons.
— Monsieur, si je vous entends bien, la France soutient
les Hollandais, les Anglais et les Grisons qui sont nations hérétiques. Qui
plus est, elles boutent les soldats du pape hors des forts de la Valteline et
elle va composer avec les protestants français. J’en conclus que le parti dévot
en France hurle son indignation.
— Madame, votre perspicacité me charme. Vous avez mille
fois raison et, comme vous avez dit vous-même, vos longs cheveux ne vous
donnent pas des idées courtes. Permettez-moi, cependant, de vous corriger sur
un point. Le parti dévot ne hurle pas. À tout le moins il ne hurle pas encore.
Il susurre. Et son susurrement prend la forme d’un milliasse de libelles
infâmes et anonymes qui s’en prennent injurieusement au cardinal et même au
roi. Et d’autant que le pape vient de dépêcher un légat à Paris pour disputer
âprement de la Valteline. C’est un « cardinal-neveu », il s’appelle
Barberini, et nos Français, qui ont la rage de tout franciser, l’appellent
Barberin. Vous vous ramentevez sans doute que la Cour et la ville appelaient
Buckingham « Bouquingan ». À ce sujet, Madame, je voudrais appeler
votre attention sur un fait dont il se peut, que vous ne vous soyez pas avisée.
Buckingham arriva à Paris le quatorze mai 1625 et Barberini le vingt et un mai.
— Eh quoi ? La même année ?
— Oui-da, la même année et le même mois. Seule la
clarté du récit m’a contraint de raconter successivement l’épisode d’Amiens et
l’ambassade de Barberini. Les deux événements furent simultanés.
— Voilà qui est curieux. L’Anglais et le prélat se
rencontrèrent-ils ?
— Madame, le légat du pape rencontrer le ministre d’un
roi hérétique !… C’est vrai qu’ils adoraient le même Dieu, mais comme ils
l’adoraient de façon différente, c’était à leurs yeux une raison suffisante
pour se haïr.
— Se virent-ils au Louvre ?
— Que nenni ! L’un, et vous savez lequel, logea
chez la duchesse de Chevreuse, l’autre chez le nonce apostolique. On les fêta
tous deux splendidement, mais chacun à part. Barberini s’attarda longtemps en
Paris et Buckingham aussi, mais point, il va sans dire, pour les mêmes raisons.
— Comte, voici la question que je me pose. Y a-t-il un
point, un seul où les deux événements eurent incidence l’un sur l’autre ?
— Oui, je le crois. Je crois, pour être plus précis,
que sans la présence de Barberini à Paris Louis aurait accompagné
Henriette-Marie jusqu’à Amiens et dans ce cas, le scandaleux épisode du jardin
d’Amiens n’aurait pu avoir lieu, ce qui eût épargné à mon pauvre roi bien des
pincements de cœur.
— Revenons à Barberini. Que demandait-il au nom du
pape ?
— Tout simplement la restitution des forts de la
Valteline aux troupes pontificales, pour la raison que le Saint-Père ne pouvait
en conscience abandonner les Valtelins catholiques à la tyrannie des Grisons
protestants. Il demandait aussi une suspension d’armes entre armées françaises
et armées espagnoles en Italie.
— Et que répondit Louis ?
— Que le roi de France ne pouvait restituer les forts
au Saint-Père, pour la raison qu’il ne pouvait, en conscience, abandonner ses
alliés les Grisons à la tyrannie espagnole. D’autre part, accepter une
suspension d’armes ne servirait qu’à donner du temps aux Espagnols pour se
fortifier à nos dépens…
— Voilà qui paraît clair comme eau de roche.
— Mais il fallut quatre mois fort troubles pour en
débattre, Barberini s’accrochant à ses propositions déraisonnables, étant
encouragé en sous-main par les Français du parti dévot.
— Et comment en sortit-on ?
— Par une émerveillable astuce de Richelieu, laquelle
fut finement conçue et fort dextrement exécutée. Le cardinal était alors à
Limours – où je ne saurais me ramentevoir ce qu’il était allé faire. Et de
là, il écrivit le deux septembre au roi une lettre importantissime que Louis me
pria de lui lire, car l’écriture du secrétaire à qui Richelieu l’avait dictée
se trouvait quasiment indéchiffrable, du fait sans doute que le cardinal, ayant
rédigé ladite lettre tout entière dans sa tête au cours d’une nuit
désommeillée, l’avait à son lever dictée d’une seule coulée au malheureux
scribe. Louis allait
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