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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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que mon attitude et mes quelques paroles avaient
suffi pour le faire virer cap pour cap.
    — Comte, dit-il, la voix comme étranglée par son
émeuvement. Vos paroles me touchent plus que je ne saurais dire. Vous me parlez
comme un père et je ne le mérite pas. Je vous ai injustement soupçonné de me
vouloir morguer, et je vois bien que c’était faux. Vous ne me voulez que du
bien ! Vous êtes le meilleur des hommes ! Je vous prie humblement de
me pardonner et je vous supplie de me croire d’ores en avant votre fidèle et
immutable ami.
    Je lui tendis les bras et lui qui, la minute d’avant,
m’avait voulu couper la gorge, s’y jeta, m’accolant à l’étouffade et me donnant
sur le dos je ne sais combien de tapes pour témoigner de la dévorante affection
que, maintenant, il ressentait pour moi.
    Il va sans dire que je répondis comme il convenait à ses
transports, bien soulagé de ne pas avoir à tuer ou à estropier le béjaune, car
même si on ne désire faire à son assaillant qu’une blessure légère, le
chamaillis des épées ne permet pas toujours de s’en tenir là. En outre, bien
que Louis n’eût pas encore promulgué son fameux édit contre les duels, je
n’ignorais pas qu’il était foncièrement hostile à ces stupides affrontements
qui lui tuaient chaque année plusieurs milliers de gentilshommes qui eussent
été plus utilement employés contre les ennemis du royaume.
    Je quittai sans regret cette girouette girouettante pour me
rendre, comme le roi me l’avait ordonné, chez le cardinal et, en chemin, je me
fis quelques réflexions assez âpres sur la Cour. Comme le lecteur s’en
ramentoit, j’y étais entré en mon âge le plus tendre comme truchement ès
langues étrangères d’Henri IV et y étais demeuré depuis, sous la Régence
et sous Louis. Et pendant tout ce temps, j’avais observé autour de moi chez les
courtisans des deux sexes tant de légèreté et de frivolité et aussi tant de
facilité à croire les fables les plus ineptes et à les décroire le lendemain
sans plus de raison, tant de jugements faux acceptés comme vérités d’Évangile,
tant de passions furieuses soulevées par des rumeurs dont ils ignoraient
l’origine, tant de haines cuites et recuites dans les chaudières d’anciens
ressentiments, enfin, tant de cabales et de complots sans parler des projets
assassins, que je croyais avoir touché le fond de ces aberrations à ne plus
pouvoir m’en étonner. Mon entretien avec Chalais sonna le glas de mes illusions
et m’apparut plus tard comme le premier indice de ces terribles remuements qui
allaient, dans les proches semaines, plonger le roi et le cardinal dans les
angoisses et les périls.
     
    *
    * *
     
    Dans la partie du Louvre où travaillait le cardinal, je ne
trouvai qu’un de ses secrétaires, Charpentier. Il était dans la désolation
parce que Richelieu, venant de recevoir l’ordre du roi de le rejoindre à
Fontainebleau, était départi au débotté et n’avait emmené avec lui que Le Masle
et Bouthereau (ses deux autres secrétaires), le laissant là, tout exprès, pour
me conduire auprès du père Joseph.
    À peu que le pauvre Charpentier ne versât des pleurs, y
ayant perdu, pour le moment du moins, la perspective – enfer pour
d’autres, mais paradis pour lui – d’écrire sous la dictée de Richelieu le
matin, l’après-dînée et plus de la moitié de la nuit.
    — Charpentier, dis-je, de grâce, puisqu’il y a de ma
faute, ne vous désolez pas. Je la réparerai. Si, comme je crois, je suis pour
recevoir l’ordre du roi de le rejoindre à Fontainebleau, je vous emmènerai avec
moi.
    — J’en serais, ma fé, fort heureux et à vous, Monsieur
le Comte, fort reconnaissant, car je doute que Le Masle et Bouthereau
suffisent, n’étant que deux à la tâche, si résistants qu’ils soient. Car il
faut surtout une grande rapidité d’écriture et une grande résistance au
sommeil, surtout en les petites heures du matin. Et savoir surtout manger comme
il faut, peu, mais souvent, pour soutenir le corps sans alourdir la cervelle.
Et aussi une grande habitude à la rétention des fonctions animales, car la
dictée peut durer plusieurs heures d’affilée sans qu’on bouge de son pupitre.
Mais je vous fais mille pardons, Monsieur le Comte. Je babille, et j’oublie ma
mission. Plaise à vous de me suivre. Je vais vous conduire de ce pas chez le
père Joseph.
    L’appartement du père Joseph au Louvre se composait

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