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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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d’une
pièce unique, bien plus grande, certes, que la cellule d’un capucin, mais qui
me parut, cependant, assez petite du fait que s’y était accumulée, depuis que
le père y logeait, une multitude de livres, de manuscrits et de lettres qui
encombrait non seulement la table rustique sur laquelle il écrivait, mais aussi
le parquet, les deux tabourets, la chaire à bras, et même le lit, si du moins
j’ose appeler lit un grabat dont un moinillon n’eût pas voulu.
    — Monsieur le Comte, dit le père Joseph en se levant à
mon entrant, je suis bien aise de vous voir. Monsieur le Cardinal, en départant
ce matin au débotté pour Fontainebleau ou plus exactement pour Fleury en Bière,
vous a confié à moi afin que je vous avertisse des étranges événements qui se
sont passés à la Cour pendant votre séjour à Orbieu. Après quoi, il est convenu
avec Louis que vous devez rejoindre sans délai le cardinal à Fleury en Bière.
    — Je n’y manquerai pas, dis-je aussitôt.
    — Monsieur le Comte, de grâce, asseyez-vous !
poursuivit le père Joseph. Notre bec à bec risque de prendre du temps.
    Invitation que j’eusse volontiers acceptée, si la chaire à
bras, ou même un tabouret avait été libre, ce que le père Joseph ne discernait
en aucune façon, l’habitude l’ayant rendu aveugle au décor de sa vie. Et le
voyant qui, s’étant rassis derrière sa table, posait ses grandes mains
rugueuses sur ses yeux, se peut pour mettre de l’ordre dans ce qu’il m’allait
dire, je résolus de me tirer à la franquette de mon prédicament. Je me frayai
un chemin comme je pus parmi les îlots de dossiers qui jonchaient le sol,
libérai résolument la chaire à bras des papiers qui étaient entassés sur son
siège et les déposai à terre sans tant languir, faisant d’eux un îlot de plus
dans l’archipel des paperasses. Et à vrai dire, je suis bien assuré que le père
Joseph, quand il ôta les mains de son visage, ne vit aucun changement dans son
univers et ne se demanda pas non plus comment j’avais réussi à m’asseoir.
    Le lecteur se ramentoit peut-être que sept ans plus tôt,
j’avais encontré le père Joseph qui m’avait prié de l’introduire auprès du
roi : ce que je fis quand je sus ce qu’il voulait lui recommander :
rappeler Richelieu d’exil et le redonner à la reine-mère pour qu’il modérât les
conditions exorbitantes qu’elle mettait à accepter avec son fils un
accommodement : judicieux conseil que Louis suivit et dont il se trouva
bien. Depuis, le père Joseph n’avait cessé de servir Richelieu dont il était
les yeux et les oreilles, sachant toujours tout sur tous et apportant au
cardinal une masse d’informations que celui-ci triait et interprétait avec sa
lumineuse perspicacité.
    Ayant retiré les mains de son visage, le père Joseph les
croisa devant lui sur la table et m’envisagea en silence. Tant est que je lui
rendis regard pour regard, étant aussi curieux, après tant d’années, de lui
qu’il l’était de moi. À vrai dire, il était loin d’être aussi élégant et soigné
que le cardinal et, de toute évidence, il prenait peu de soin de sa mortelle
guenille. La bure dont il était vêtu montrait la corde. Sa longue barbe, où
meshui le sel le disputait au poivre, n’était pas souvent peignée ; ses
ongles, plutôt cassés que limés. Sa tête elle-même paraissait mal équarrie et
mal proportionnée, étant plus large que haute, et surtout plus osseuse qu’elle
n’eût dû être, les arcades sourcilières et les pommettes fort saillantes, et le
nez, long, courbe et acéré comme celui d’un vautour. Cet aspect rébarbatif était
cependant adouci par deux autres traits. Son œil, petit, vif et fureteur, comme
celui d’un écureuil, s’il pouvait être dur, pouvait aussi être amical. Et chose
beaucoup plus surprenante dans une physionomie aussi redoutable, sa bouche,
bien qu’elle fût à demi dissimulée par sa moustache et sa barbe, paraissait
aussi petite, tendre et mignarde que celle d’une femme.
    — Monsieur le Comte, dit-il, vous n’avez pas été
éloigné de la Cour plus de quinze jours, et en quinze jours, la tournure des
affaires a changé du tout au tout, faisant brusquement apparaître une intrigue,
qui meshui tourne à la cabale, et pourrait devenir un complot, si on n’y
mettait bon ordre. Le point de départ est un mariage, et il est étrange
d’observer combien le mariage réussit peu à la couronne de

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