Le Manuscrit de Grenade

Douée savait ce que signifiait l’eau sacrée des douze soleils. Isabeau n’avait ni sa culture ancestrale ni ses connaissances et elle doutait des capacités de ses compagnons à décrypter l’énigme.
    Le nombre douze lui évoquait les tribus d’Israël, les apôtres, les portes de la Jérusalem céleste inscrites dans l’Apocalypse, les signes du zodiaque, les mois de l’année, mais aucun soleil. Déçue, sa pensée revint vers celui qu’elle ne parvenait pas à chasser de son esprit et de son cœur. Allait-il les trahir ? Le papillon noir de mauvais augure se mit à danser devant ses yeux. Effrayée par cette apparition soudaine qui apportait une réponse peu encourageante à sa question, elle chercha Manuel des yeux. Penché sur l’émeraude, il l’étudiait avec attention. Elle ne voyait que son dos mince et musclé et ses cheveux blonds. Les battements d’ailes du papillon s’intensifièrent. Un objet froid lui effleura le cou, une lame se posa sur sa gorge, elle se retrouva prisonnière d’un bras énorme et possessif. Consciente que le moindre mouvement lui serait fatal, Isabeau s’immobilisa.
    — Magnifique joyau ! déclara une voix suave dans son dos. Si vous ne voulez pas que Koldo sacrifie notre cher Luis, je vous suggère de ne pas faire de geste inconsidéré.
    Myrin sembla s’affaisser contre le tombeau tandis que Pedro et Manuel se retournaient brusquement. En voyant dans quelle posture elle se trouvait, ils se figèrent. Furieux de s’être laissé surprendre, le maître d’armes toisait les deux intrus d’un air féroce. Quant à Manuel, impavide comme à son habitude, il contemplait gravement les nouveaux venus comme s’il cherchait un moyen de les sortir de ce mauvais pas. À moins qu’il ne se soit attendu à cette intrusion ?
    Les paroles d’Alonso Jimenez lui ôtèrent ses derniers doutes :
    — Don Manuel, veuillez prendre cette émeraude et me l’apporter. Ensuite vous me répéterez le message inscrit sur le livre de marbre.
    C’était les ordres d’un maître à son employé. Malgré le poignard qui menaçait son cou, Isabeau ne put s’empêcher de vitupérer :
    — Je vous avais dit qu’il nous trahirait !
    Son mouvement de colère prit Koldo par surprise et la lame lui entailla la peau. Du sang jaillit de la blessure. L’hidalgo fit un pas vers elle. Elle le toisa avec mépris et cracha par terre.
    Haussant les sourcils, il lui lança un regard ambigu, puis un sourire insolent éclaira son visage. Il tendait la main vers l’émeraude quand retentirent des bruits reconnaissables : claquements de bottes, cliquetis d’armes, mouvements furtifs. En quelques secondes, une quinzaine de soldats envahirent la grotte. Deux d’entre eux désarmèrent le géant noir, tandis que les autres se déployaient dans l’espace. Devant l’entrée de la tombe, une rangée de gardes dissuadait toute sortie, tandis qu’un homme solitaire s’avançait vers le sarcophage.
    Libérée Isabeau courut se placer près de Myrin qui lui tendit un coin de son voile pour essuyer sa gorge ensanglantée. La coupure la brûlait encore légèrement mais ne saignait plus. Du coin de l’œil, elle vit Manuel ramener lentement son bras le long de son flanc.
    Sur son coussin de sable, l’émeraude brillait de mille feux, mais plus personne n’osait s’en saisir.
    La figure renfrognée de l’Inquisiteur prouvait qu’il avait lui aussi reconnu leur illustre visiteur. À ses côtés, Koldo désarmé attendait, immobile, la suite des événements. Aucun des deux ne vit l’ordre muet donné d’un simple geste de la main par le nouveau maître des lieux. Un yatagan trancha l’air avec un sifflement aigu. La tête du commandeur roula par terre dans un bruit de ferraille, tandis qu’un geyser de sang éclaboussait les personnes les plus proches. Son mentor poussa un couinement de souris en faisant un bond pour éviter les gouttes. Le corps décapité s’affala sur le sol avec fracas. Alonso Jimenez parut se recroqueviller sur lui-même, puis il tomba à genoux devant le cadavre étêté, rampa jusqu’à la tête de Koldo, plongea la main dans sa chevelure crépue et la ramena vers le cou sanguinolent. Secoué par des sanglots en rafales, il s’efforça de recoller les morceaux, s’acharnant à accomplir un miracle impossible sous les regards horrifiés des personnes présentes. Même les soldats semblaient écœurés par la scène.
    Ainsi ce monstre avait un cœur, pensa