Le Manuscrit de Grenade

excitée pour prendre le temps de la réflexion, Myrin chuchota :
    — Par la Jérusalem nouvelle, que la lumière soit !
    Une grande clarté illumina la crypte.
    Un tombeau de pierre noire occupait une grande partie de l’espace. En son milieu reposait un livre ouvert en marbre blanc. Sur le plateau brillant du cercueil, les faucons veillaient. Sous leurs griffes, la clé et la main.
    Myrin sentit le bras de Pedro se poser sur ses épaules :
    — La prophétie d’Abraham semble se vérifier, dit-il d’une voix enrouée par l’émotion.
    Le cœur battant, elle contemplait l’objet que des générations de femmes avaient espéré trouver. Et c’était à elle que revenait cet honneur. Incapable de parler, elle contemplait le manuscrit avec émerveillement. Soudain une immense lassitude l’envahit. Ses jambes se dérobèrent ; elle serait tombée si Pedro ne l’avait retenue.
    — Appuie-toi sur le tombeau. Cela va passer.
    Myrin s’enveloppa dans son châle en frissonnant. Le caveau était froid et humide. Un si petit vœu. Juste un peu de lumière. Une si grande fatigue. Épuisée, elle s’efforçait d’écouter les propos des deux hommes qui discutaient penchés sur le sarcophage.
    — Et maintenant que fait-on ? demanda Manuel
    — Il doit y avoir un message, dit Pedro
    — Pas le moindre texte gravé dans le marbre.
    — Ce n’est pas possible.
    Le maître d’armes se pencha sur le livre ouvert et caressa du bout des doigts la page marmoréenne.
    — La surface est froide, presque lisse, mais je sens de minuscules entailles.
    Fébrile Myrin, oubliant son état, se leva et le bouscula pour toucher la feuille pétrifiée. Avec un cri de joie, elle apostropha Pedro :
    — La loupe que Khider t’a donnée, c’est le moment de l’utiliser !
    Le guerrier sortit l’objet de sa besace et la promena sur le livre. Tous se regroupèrent, d’abord soucieux, puis heureux en voyant apparaître des lettres minuscules sous le verre grossissant.
    D’une voix tremblante, Pedro se mit à lire à haute voix le message secret qui les attendait depuis des siècles.
    Le livre ouvert
    Cache le sang vert
    Une fois plongé
    Dans l’eau sacrée,
    Des douze soleils
    Sonne l’éveil
    De la nouvelle
    Jérusalem.
    Interloqués par ce texte, ils restèrent quelques instants sans parler. Ils avaient cru parvenir au but de leur quête et voilà qu’ils étaient confrontés à une nouvelle énigme.
    — Qu’est-ce que le sang vert ? demanda Isabeau.
    — Une métaphore classique pour parler du sang de votre messie, répondit aussitôt Myrin. En langage ésotérique, il est symbolisé par une émeraude.
    Le moindre mouvement était un supplice pour ses articulations. Un mauvais signe pour la suite des événements, mais elle n’avait plus rien à perdre. Malgré sa faiblesse, les soupirs de découragement qui accueillirent son explication lui arrachèrent un sourire. Homme de peu de foi pensa-t-elle en constatant le désappointement de Pedro.
    — Laissez-moi faire dit-elle en se penchant sur le livre blanc.
    La mine grave, ses trois amis reculèrent de quelques pas. Tête et figure recouvertes par son voile, la magicienne se pencha sur le parchemin et frotta sa pierre de lune en murmurant d’une voix enrouée :
    — Par la Jérusalem céleste, que s’ouvre le livre et que le sang vert apparaisse !
    Pendant quelques instants, il ne se passa rien, puis il y eut des craquements, des fissures, et soudain le livre s’effrita en mosaïques minuscules, qui finirent par tomber en poussière. Et là posée sur son écrin de sable, une émeraude grosse comme une noix étincelait.

15
    La Tour de Comares
    S TUPÉFAITE I SABEAU S’ÉLOIGNA DU TOMBEAU À RECULONS en direction de la sortie, poussée par un désir incontrôlé de prendre la fuite. Dans son esprit survolté, les questions s’entrechoquaient.
    Pedro et Myrin, bercés depuis leur enfance par un chant mystique, semblaient accepter comme un don divin l’émeraude qu’ils venaient de découvrir. Sans se préoccuper des conséquences. Si ce caillou avait vraiment le pouvoir de sauver Grenade des griffes de l’Islam et du Christianisme, les deux partis allaient s’entre-déchirer férocement pour s’en emparer. Mais aucun de ses compagnons ne partageait ses appréhensions. Même Manuel, un professionnel de la politique, ne paraissait pas pressé de quitter les lieux pour mettre leur trésor à l’abri des convoitises. Elle se demanda si Myrin la