Le Manuscrit de Grenade
tissus avec un bruit mat.
C’était un spectacle effrayant et terrible qui avait réussi à faire taire les spectateurs. Chacun retenait son souffle. Quand enfin le dernier humain fut tombé, la foule se leva pour acclamer les responsables du carnage. N’osant pas rester assis, Myrin et ses amis suivirent le mouvement, mais en silence, anéantis par la vision du charnier.
Le bruit était assourdissant. Un signe du sultan mit fin au vacarme. Le véritable combat allait commencer.
Excités par le goût du sang, les deux animaux, frustrés de ne plus avoir de proies vivantes, se firent face. Le taureau frappait le sol de ses pattes avant en secouant ses cornes d’un air furieux. Quant au lion, il rugissait pour effrayer son adversaire. Ce fut le taureau impatient qui donna l’assaut le premier. Il bondit tête baissée pour encorner le flan du félin qui s’en tira par une pirouette en assénant un grand coup de queue sur le mufle de l’attaquant. Ce dernier virevolta sur lui-même avec une légèreté surprenante pour son poids et revint à la charge avant que le fauve n’ait le temps de réagir. Ses cornes s’enfoncèrent dans la cuisse du lion. Hurlant de douleur, celui-ci se retourna et planta ses crocs dans l’épaule du taureau. Les deux animaux accrochés l’un à l’autre se mirent à tournoyer sur eux-mêmes. L’issue du combat était incertaine. Les gens, frustrés, lançaient toutes sortes de projectiles sur les animaux en les insultant.
Peu à peu, les deux bêtes affaiblies ralentirent leurs rondes puis s’effondrèrent sur le sol, toujours liées entre elles par des cornes et des crocs. Finalement vaincues, affalées l’une contre l’autre, elles ne bougèrent plus, dociles face à une mort certaine. Le silence envahit les lieux. Profitant de la fascination de la foule qui guettait l’agonie des fauves, le sultan et sa mère s’apprêtaient à partir. Écœurée, Myrin marmonna à voix basse.
— Ces deux vampires assoiffés de sang se sauvent ! Dommage que les bêtes ne les aient pas dévorés.
Un charivari indescriptible arrêta la fuite des seigneurs de Grenade. Sur les gradins, les spectateurs debout applaudissaient les bêtes qui s’étaient séparées et se secouaient furieusement. Le combat allait reprendre. Leurs Altesses Royales semblèrent hésiter puis regagnèrent leurs trônes. Face à face, immobiles comme des statues de pierre, le taureau et le lion se jaugeaient. Peu à peu, devant ce spectacle étonnant, les gens se rassirent et firent silence. Alors comme s’ils n’attendaient que cela, les fauves se mirent à tourner en rond lentement puis de plus en plus vite, pour soudain foncer ensemble vers l’émir des croyants et la sultane mère.
Parvenu devant la cascade de soie blanche qui ruisselait de la balustrade royale jusqu’au sable de l’arène, le taureau freina des quatre pattes. D’un mouvement gracieux, le lion sauta sur son dos puis s’agrippa en grondant au rideau qu’il tenta d’escalader. Le félin semblait enragé. Il s’accrochait au drap et progressait lentement vers le haut. Déchiré par ses griffes puissantes, le rideau s’effilochait. Alors, le lion plantait ses crocs dans le tissu pour ne pas glisser, puis repartait à l’assaut.
Tout s’était passé si vite que pendant quelques secondes, personne ne bougea. Le premier à réagir fut le sultan. Il se leva et s’éclipsa, suivi par sa mère et ses gardes. Ce départ sortit les gens de leur torpeur. Pendant qu’ils se battaient pour fuir au plus vite, les picadors entrèrent dans l’arène. La fin des animaux fut rapide et sans souffrance.
Saoulés par le bruit, secoués par le spectacle et par sa conclusion inattendue, Myrin, Pedro et Isabeau se dirigèrent vers la sortie la plus proche. Les deux faucons planaient en cercle au-dessus de la place. Dès leur sortie, ils s’éloignèrent lentement, forçant le trio à les suivre. Soudain Pedro ralentit :
— Continuez, je vous rejoindrai. Nous avons oublié Yasmin.
Mécontente, Myrin s’arrêta :
— Les oiseaux n’attendront pas notre bon plaisir. Nous ne pouvons pas les perdre de vue. Pense au manuscrit !
L’expression du maître d’armes la bouleversa. Pourquoi se sentait-il aussi responsable de cette gamine, un vrai fléau capable de trucider une dizaine de guerriers rien qu’en respirant ? Elle cherchait des arguments pour le convaincre quand une voix mâle vint à son secours.
— Ne vous occupez pas de
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