Le Maréchal Berthier
mois dans la cathédrale avant d'être transféré dans un premier temps, le 20 décembre 1815, dans la chapelle du château de Banz, résidence d'été de son beau-père. Il y demeura jusqu'en 1884 et à ce moment, à la demande d'on ne sait qui, sa dépouille fut enfin emmenée dans la crypte du château royal de Tegernsee, caveau mortuaire des rois de Bavière où elle se trouve toujours, présence étrange et quelque peu insolite. Ce qu'il y a d'extraordinaire est le fait que la princesse de Wagram se désintéressa complètement du sort des restes de son mari. Elle rentra en France avec ses enfants au début de la seconde Restauration et ne songea pas un instant à y ramener Berthier. Pourtant, une telle démarche n'aurait rien eu que de très ordinaire et, bien certainement, les autorités bavaroises ne s'y seraient pas opposées. Faut-il y voir la vengeance posthume d'une femme à qui son mari avait toujours ouvertement imposé la présence de sa maîtresse ?
Agit-elle par souci d'économie, sachant qu'elle allait avoir à résoudre de graves problèmes financiers ? C'est assez peu probable, car elle n'était pas sans savoir que le gouvernement français eût assuré les frais de transfert. Elle ne s'est jamais expliquée, mais son comportement en la circonstance laisse comme une tache sur sa mémoire.
En apprenant la mort de celui qui avait été son fidèle bras droit pendant dix-huit ans, Napoléon ne dissimula pas le chagrin et l'embarras que lui causait cette disparition. Le général Thiébault qui détestait Berthier était aux côtés de l'empereur lorsque la nouvelle lui parvint et il fut frappé par la manière dont Napoléon donna libre court à sa douleur.
Quant à la comtesse Visconti, elle eut une réaction typiquement féminine lorsqu'on lui annonça le décès de celui qui avait été l'homme de sa vie : elle s'évanouit.
Beaucoup plus tard, à Sainte-Hélène, Napoléon attribua une partie de sa défaite de Waterloo à l'absence de Berthier « qui au lieu d'envoyer deux officiers en estafette à Grouchy en aurait fait partir une dizaine ». Encore eût-il fallu les avoir sous la main, ce qui n'était pas le cas, car l'état-major de Soult était fort réduit. Au demeurant, la querelle est sans objet puisque Grouchy reçut la lettre mais n'en tint pas compte, comme l'a fort bien analysé Henry Houssaye. Mais, dans son exil, l'empereur, amer, fit systématiquement supporter par d'autres le poids de ses propres erreurs.
XV
LE DESTIN D'UNE FAMILLE
(1815-1960)
La princesse de Wagram, beaucoup plus jeune que lui, survécut trente-quatre ans à son mari. Dès son retour en France, pendant l'été 1815, elle eut à faire face à de nombreuses difficultés financières dues à la diminution de ses revenus. Aussi fut-elle conduite à prendre des mesures draconiennes. Tout d'abord, elle procéda à une réduction de personnel. Le nombre des domestiques fut ramené d'une centaine à trente et un peu plus tard à dix-huit. Elle vendit également une partie de ses chevaux. Dans les années suivantes, elle fut contrainte de se séparer de plusieurs biens immobiliers : le domaine des Moulineaux près de Paris, ancienne propriété de la marquise Visconti, achetée par le maréchal pour complaire à sa maîtresse, puis les deux hôtels parisiens des Capucines et de la Madeleine et celui de Fontainebleau. Son gros problème fut la liquidation de Chambord. Constitué en majorat, il était inaliénable. Aussi s'adressa-t-elle au roi pour obtenir l'autorisation de le vendre. Louis XVIII donna son accord en 1819 et la Chambre des députés ratifia la décision en 1820. Quelques mois plus tard, naquit le fils posthume du duc de Berry, neveu du roi. À l'initiative du comte de Calonne, une souscription nationale fut lancée pour offrir au futur héritier du trône le domaine (il prendrait plus tard le titre de comte de Chambord). La transaction fut matérialisée en 1820.
Habilement conseillée par son notaire, la veuve Berthier révéla dans la gestion des biens qui lui restaient un tempérament de femme d'affaires et réussit à rétablir en grande partie la fortune de ses enfants. Elle consacra beaucoup de temps à leur éducation. Depuis son retour, elle avait repris ses habitudes de rencontres régulières autour d'une table de jeu avec la marquise Visconti. Mais l'absence de leur lien réel, Alexandre, fit que ces dames assez rapidement virent se refroidir leur amitié. À partir de 1820, elles
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