Le Maréchal Suchet
une manière pratique de récompenser des soldats qui ne cessaient de rappeler qu’ils manquaient de tout.
Dans le même temps, la division avait, conformément aux termes de l’armistice, rétrogradé sur le nord de l’Italie et avait pris ses quartiers entre Padoue et Venise. Brune se plaignit des fortes chaleurs que ses soldats supportaient mal. Beaucoup tombaient malades ou étaient victimes d’insolations. À la période trépidante des combats, succédait la morne vie d’une troupe d’occupation avec tous les risques et inconvénients que cela comportait.
La discipline n’avait jamais été une des préoccupations majeures de Masséna. Lui-même était assez porté à se servir sur le dos des pays occupés et, de ce fait, il fermait les yeux sur le comportement de ses troupes vis-à-vis des populations. Les remontrances que lui adressait Berthier depuis le quartier général de Milan étaient lettre morte. Il séjourna assez longtemps à Paris au printemps 1797, s’agitant beaucoup dans les milieux politiques et posant même sa candidature comme directeur. Le général Mesnard, qui remplaça Brune, était un faible qui ne fit rien pour restaurer l’ordre et la discipline. De ce fait, la division acquit une assez mauvaise réputation. À nouveau, il fut remplacé par Brune qui ne put pas redresser la situation. Sur ces entrefaites, Masséna revint avec la promesse de Barras de recevoir le commandement de l’armée d’Italie lorsque Bonaparte partirait bientôt. Celui-ci, lors de son passage à Milan, le reçut fastueusement au château de Monbello où il résidait. Il lui laissa vaguement entendre qu’il le remplacerait sous peu mais sans prendre aucun engagement formel. En attendant, Masséna reprit son commandement (25 juillet). Ses régiments et lui-même mirent Padoue en coupe réglée. Les habitants dépouillés portèrent l’affaire devant le général Kilmaine, un honnête homme qui transmit le dossier à Bonaparte. Mais celui-ci se hâta d’étouffer l’affaire car un certain Haller, ancien banquier suisse, y avait participé et agissait sur ordre et pour le compte du général en chef. Aussi, Masséna, comprenant qu’à Paris on l’oubliait, et voyant que Bonaparte intriguait pour se faire remplacer par son fidèle Berthier, repartit une fois de plus pour la capitale, laissant à sa place le faible Mesnard. Dans cette atmosphère de brigandage, Suchet n’était certainement pas à son aise, mais il ne pouvait rien faire sinon se garder lui-même de participer aux exactions.
On apprit, au début de novembre 1797, qu’allait se former dans le nord de la France une armée destinée à opérer un débarquement en Grande-Bretagne. Le commandement en serait donné à Bonaparte. Quatre des demi-brigades de l’armée d’Italie furent désignées pour en faire partie. C’étaient les 18 e , 25 e , 32 e et 75 e . Toutes comptaient parmi les unités de la division Masséna comme si on avait voulu purger celle-ci de ses éléments indésirables. Avant de partir au congrès qui se tenait en Allemagne, à Rastadt, où il représenterait la France, Bonaparte alla visiter chacune de ses divisions et y tint un conseil d’administration pour s’assurer de la fidélité de ses officiers. À cette occasion, il ne ménagea pas les avancements, à titre provisoire évidemment, puisque la confirmation définitive, au moins pour les officiers supérieurs et les généraux, dépendait du gouvernement à Paris. Mais ce n’était le plus souvent qu’une formalité. S’il faut en croire Thiébault, qui assista à plusieurs de ces conseils, l’ambiance, au moins à la division Masséna, fut particulièrement détendue et le secrétaire de séance, un officier nommé Daure, se livra à tant de pitreries et de grimaces pendant la réunion, allant jusqu’à se coiffer d’un shako d’un nouveau modèle qui se trouvait sur la table, qu’il provoqua une hilarité générale y compris chez Bonaparte. Thiébault conclut : « Vainqueurs, on se pardonnait des folies entre gens heureux ! »
Le chef de la 18 e demi-brigade, Monnier, fut nommé général de brigade en raison de sa belle conduite à Rivoli ; et lorsque Bonaparte lui demanda quel était le plus méritant pour lui succéder, Monnier désigna sans hésiter Suchet qui fut promu sur-le-champ. Son chef qui était appelé à d’autres fonctions se hâta de lui accrocher sur les épaules ses propres épaulettes. Ainsi, Louis-Gabriel se
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