Le Maréchal Suchet
capituler en rase campagne le corps d’armée du général Dupont, lancé en flèche en Andalousie. Cette reddition avait eu un retentissement énorme en Europe. Joseph, à peine intronisé roi d’Espagne, avait dû fuir sa capitale pour se mettre à l’abri près de Moncey. En fait, pendant toutes les guerres d’Espagne, les Français n’occuperaient jamais, à une exception près, que les terrains que couvrait l’ombre de leurs baïonnettes. Dès le départ, une junte révolutionnaire s’était constituée qui, installée à Séville en Andalousie, prétendait régner pour le compte du fils de Charles IV, Ferdinand, prisonnier de Napoléon.
L’empereur avait été obligé de se rendre lui-même en Espagne pour « remonter la machine », amenant avec lui deux cent mille hommes de bonnes troupes d’autant plus nécessaires que, profitant de cette situation exceptionnelle, les Anglais avaient débarqué une armée au Portugal. Le 5 e corps faisait partie des renforts amenés par Napoléon.
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Suchet ne connaissait pas l’Espagne. Il n’y était jamais venu. Il n’avait jamais entretenu de rapports commerciaux avec ce pays. Ce fut donc pour lui une expérience entièrement nouvelle. D’après les récits de camarades arrivés avant lui dans la péninsule Ibérique, il comprit très vite qu’il allait lui falloir changer complètement le mode d’approche des populations qu’il avait pratiqué jusqu’à ce jour. Il était assez mécontent d’être maintenu simple divisionnaire. Son mariage, pensait-il, aurait dû lui permettre de se retrouver rapidement à la tête d’un corps d’armée. Aussi, sans tarder, fit-il jouer toutes ses relations anciennes et nouvelles pour obtenir cette promotion. Sollicitée, « la reine » Julie se démena pour son nouveau neveu.
Le 5 e corps, toujours commandé par Mortier, se préparait à quitter Burgos et à rallier Madrid. Tous se réjouissaient à l’idée d’être sous le commandement direct de l’empereur, car c’était souvent une source d’avancement, lorsqu’un ordre du quartier général vint lui prescrire de se diriger sur Saragosse, mais seulement avec ses deux divisions d’infanterie (Suchet et Gazan), afin de renforcer le 3 e corps du maréchal Moncey qui avait commencé à assiéger la ville.
Dès le début de l’invasion française en juillet 1808, le général Verdier avait tenté d’enlever la cité mais avait échoué. Saragosse n’était pas protégée par de puissantes fortifications mais bâtie dans une courbe de l’Èbre, ce fleuve constituant un fossé naturel. De nombreux couvents aux murs épais servaient d’autant de points d’appui et dans la ville aux rues étroites et tortueuses chaque maison constituait un fortin. En outre, depuis le premier siège, toute la population, y compris les femmes, les enfants et les moines, travaillait à élever des retranchements de campagne, peut-être fragiles mais facilement réparables. L’artillerie dont disposaient les défenseurs était considérable : cent-soixante pièces de divers calibres avec d’importants stocks de munitions. Elles étaient servies par des artilleurs de métier. Enfin, un corps de huit cents sapeurs était entré dans la place.
Moncey ne disposait que de seize mille cinq cents hommes. Il ne fut donc pas fâché de voir arriver les dix-huit mille soldats du 5 e corps. Il ne devait pas rester longtemps comme responsable du siège. Le jugeant un peu âgé, Napoléon le remplaça le 2 janvier 1809 par Junot, son ami depuis le siège de Toulon, qui, dès ce moment, commençait à donner des signes de dérèglement mental. Moncey avait jusque-là mené le siège dans les règles et au moment de l’arrivée de Junot il ouvrait la seconde parallèle. Junot jugea les moyens mis à sa disposition insuffisants et demanda à Napoléon trente mille hommes de renfort et beaucoup d’artillerie. En fait de troupes, Napoléon, dès le 8 janvier 1809, envoya Lannes et lui confia le commandement des deux corps d’armée ainsi que la direction supérieure du siège. Ces deux nominations convenaient à Suchet puisqu’ils étaient ses amis et qu’il espérait en tirer parti. Sa division ne participait pas directement aux travaux d’investissement. Elle était allée occuper la ville de Calatayud à quatre-vingts kilomètres au sud-ouest de Saragosse, important nœud de communications où se croisaient les routes de Saragosse à Madrid et de Logroño à Valence. De la
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