Le Maréchal Suchet
sorte, il empêcherait toute forme de secours d’approcher de la ville assiégée, mais son rôle demeurait purement passif. À la mi-janvier, Lannes jugea que l’occupation de Calatayud n’était plus nécessaire et que Suchet serait plus utile à proximité de Saragosse. Dans ses mémoires, Suchet ne fait que brièvement allusion à l’épisode Calatayud et, au contraire, affirme que sa division participa activement aux opérations du siège en attaquant, sur la rive droite de l’Èbre, le château d’Aljuferia.
Lannes décida d’utiliser la division Suchet comme corps d’observation pour couvrir le siège et disperser les Espagnols qui se rassemblaient en divers points d’Aragon. C’était lui accorder une certaine autonomie et Suchet lui en fut reconnaissant. Il manœuvra successivement sur les deux rives de l’Èbre, découvrit à Licinea les quatre à cinq mille hommes rassemblés par le colonel espagnol Perena et, après les avoir écrasés, les dispersa. De ce fait, la division ne participa pas à l’assaut contre Saragosse qui, ruinée, ravagée par le typhus, capitula le 21 février. Plus de quarante mille habitants et défenseurs avaient péri.
Profitant de la rumeur qu’avait entraînée cette reddition, Suchet s’empara de la petite ville de Jaca, puis du fort de Monzon. Durant cette expédition, il quitta momentanément son quartier général et se rendit à Madrid auprès de son « oncle », le roi Joseph, qui était depuis longtemps son ami, et il ne lui cacha pas son désir de ne pas demeurer trop longtemps dans une fonction subalterne. Joseph, qui s’entendait assez mal avec la plupart des généraux de son frère, comprit qu’il pourrait trouver en son « neveu » un auxiliaire de confiance sur qui s’appuyer. Pour récompenser Junot du rôle qu’il avait joué pendant le siège, Napoléon, dès son retour à Paris au début de mars, le nomma gouverneur d’Aragon, en plus de son commandement. Mais Junot qui supportait mal le climat espagnol, au lieu de simplement remercier l’empereur, demanda son rappel, officiellement pour raison de santé. De plus, il se plaignait d’être tiré à hue et à dia entre le roi Joseph et l’empereur Napoléon, ne sachant auquel il devait obéir et ne recevant aucune instruction précise de l’un comme de l’autre.
Il s’agissait donc de le remplacer. Aussitôt, les amis de Suchet recommencèrent à s’agiter pour réclamer sa nomination. Pour sa part, il aurait préféré, et il le laissa entendre, un commandement en Allemagne car un conflit avec l’Autriche semblait imminent. Joseph lui-même se mit de la partie quoiqu’il sût que ce genre d’intervention de sa part énervait son frère. Suchet, qui, sans en avoir l’air, suivait avec attention le développement de la situation, continuait à demeurer sous les ordres de Lannes, affectant de ne dépendre que de lui. Pendant son voyage à Madrid, il avait emmené une de ses brigades jusqu’en Vieille-Castille pour lutter contre les guérillas, pendant que les deux autres demeuraient à Saragosse aux ordres de Lannes. Et en même temps, Mortier qui cantonnait à Fraya à l’est de Saragosse, alors qu’il aurait dû faire route sur Burgos, se plaignait de ce que Suchet ne ralliât pas son corps d’armée. Il est vrai que ce dernier avait de plus en plus de mal à supporter sa subordination à ce maréchal. Son comportement, dans la période qui suivit entre mars et avril 1809, pourrait faire l’objet de sévères critiques et il est resté d’une remarquable discrétion là-dessus dans ses mémoires. En fait, rien n’en aurait sans doute été connu sans Thiébault qui fut témoin de toute l’affaire et qui, avec son pittoresque ordinaire, l’a racontée en détail.
Ayant appris, peut-être par un courrier de Joseph, que ses affaires avançaient à Paris, sans demander à quiconque l’autorisation, et surtout pas à Mortier, il se mit lui-même en congé, quitta sa division sans trop se préoccuper de savoir qui le remplacerait et sachant que Thiébault, qu’il connaissait bien, était à présent gouverneur de la Vieille-Castille, il décida de lui rendre visite à Burgos, siège de son gouvernement. Une telle attitude était considérée comme frôlant la désertion. Mais, en Espagne, loin de Paris, bien des généraux en prenaient à leur aise avec le règlement.
Quoi qu’il en soit, Suchet demeura cinq jours à Burgos, y attendant, dit-il, de nouveaux ordres
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